Tribune co-signée par la Fnaut avec le Réseau Action Climat : « Transport aérien et climat : il est temps d’atterrir ».
Alors que les députés s’apprêtent à examiner des amendements sur la taxation du transport aérien dans le cadre de la Loi Mobilité, des associations et collectifs citoyens publient une tribune pour éclaircir les débats et appeler les députés à prendre des mesures rapides pour réduire le trafic et ses émissions de gaz à effet de serre.
Le secteur aérien est inquiet. En Suède, les engagements à ne plus prendre l’avion ou à voler moins se multiplient et le trafic aérien a déjà commencé à baisser. En France et ailleurs, les compagnies aériennes redoutent de perdre leurs privilèges fiscaux sous la pression de la prise de conscience grandissante de la crise climatique et de l’exigence de justice fiscale. Ainsi, plus de la moitié des Français soutiennent la taxation du kérosène selon un sondage publié le 7 juin. Les députés se penchent dès cette semaine sur des propositions de mesures capables de répondre à ces attentes. Afin d’éclaircir le débat, nous rétablissons ici quelques faits.
« C’est une grande menace. Le secteur du transport aérien est confronté à un risque de réputation. C’est une première », a déclaré le directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), Alexandre de Juniac, annonçant dans la foulée une grande campagne de communication.
Décryptage en cinq points
– Depuis des années, les acteurs du secteur tentent de minimiser les impacts environnementaux des avions et en particulier l’impact climatique. La réalité, c’est que l’aviation civile, ne représente pas 2 % de l’impact climatique attribuable aux activités humaines comme elle le prétend, mais au moins 5% selon le GIEC, compte-tenu des trainées de condensation et des oxydes d’azote. Une proportion relativement plus élevée en France. La réalité, c’est aussi que l’avion poursuit sa croissance sur des trajets de courte-distance, où des alternatives existent, alors qu’il est 14 à 40 fois plus émetteur de CO2 que le train.
– Le secteur aérien met également en avant, en en exagérant l’ampleur, les efforts consentis dans le cadre de CORSIA, un accord international conclu en 2016, mais qui n’entrera pleinement en vigueur qu’en 2027. En s’orientant vers un mécanisme de compensation carbone, et non pas de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il se défausse de sa responsabilité. L’autre volet de CORSIA repose sur la conversion à long terme aux agrocarburants, dont on a constaté les conséquences désastreuses sur l’environnement, en raison, notamment, de la déforestation que leur production entraîne.
– Si on prend l’objectif de l’accord de Paris sur le climat au sérieux, il faut qu’il y ait moins d’avions dans le ciel. Mais au niveau mondial, le nombre de passagers-km croît de 6 à 7% par an depuis 2010. Le trafic poursuit sa hausse en France également ! Ces chiffres annoncent un doublement du trafic total en à peine plus de 10 ans, plus rapide encore que les projections de IATA. A ce rythme, les améliorations techniques ou opérationnelles ne pourront suffire pour contrebalancer ses conséquences. Réduire le trafic est incontournable. Alors comment faire ?
– Si l’avion semble aujourd’hui si compétitif, il ne fait nul doute que sa croissance est tirée par des prix artificiellement bas. Les compagnies aériennes bénéficient d’un système fiscal avantageux. Elles paient peu de taxes contrairement à ce que répètent à l’envi les acteurs du secteur, l’essentiel des redevances étant destinées à rétribuer des services rendus au secteur (services aéroportuaires, contrôle aérien, sécurité-sûreté). L’aviation civile contribue ainsi très peu au budget de la nation (500 millions d’euros) et bénéficie au contraire de larges subventions par le biais de l’exonération de TICPE sur le kérosène (pour un coût chiffré à 3,6 milliards par le ministère des finances et s’élevant à 7,2 milliards € en appliquant le même taux que sur l’essence). A cela s’ajoute des taux réduits de TVA et des subventions directes aux aéroports et aux compagnies aériennes.
– Le gouvernement veut mener la bataille de la taxation de l’aérien au niveau européen, ce qui est indispensable. Mais cela ne doit pas le dédouaner d’agir au niveau national. En vérité, sur ce point, la France pourrait mettre fin aux régimes fiscaux dérogatoires sur des vols internationaux aussi bien que sur les vols nationaux, sans attendre une décision européenne voire mondiale. Des pays voisins comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège et plus récemment la Suède, ont aussi pris des mesures en taxant les billets d’avion.
Eclaircie à l’horizon ?
Il n’y a jamais eu autant de propositions sur la table des décideurs politiques en France. Plus de 20 amendements ont été déposés dans le cadre de l’examen du projet de loi Mobilité à l’Assemblée nationale. De l’interdiction des vols où une alternative ferroviaire existe à la taxation du kérosène, en passant par l’introduction d’une contribution climat prélevée sur les compagnies aériennes pour chaque billet d’avion acheté pour un décollage en France, ces amendements, déposés par des députés de différents partis politiques, seront débattus à partir de mercredi en séance plénière. Leur adoption ouvrirait la voie à davantage de financements pour les trains de jour comme de nuit.
Si nous nous montrons incapables de réduire rapidement et significativement le trafic aérien, comment pouvons-nous sérieusement croire que nous arriverons à infléchir les émissions de gaz à effet de serre pour respecter nos engagements sur le climat ? Le gouvernement se refuse à toute mesure nationale, mais le transport aérien ne peut être tout bonnement oublié de la loi Mobilité. Notre message aux députés est clair : il est temps de remettre les pieds sur terre !
Signatures des associations et des collectifs citoyens mobilisés pour la baisse du trafic aérien et ses émissions de gaz à effet de serre :
Signatures des associations et des collectifs citoyens mobilisés pour la baisse du trafic aérien et ses émissions de gaz à effet de serre :
- Philippe Quirion, Président du Réseau Action Climat
- Loïs Mallet, Président du Réseau Français des Etudiants pour le Développement Durable
- Stéphen Kerckhove, Délégué général d’Agir pour l’environnement
- Geneviève Laferrere, Pilote Réseau Transports et Mobilité Durables de France Nature Environnement
- Alain Grandjean, Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme
- Bruno Gazeau, Président de la Fédération Nationale des Associations des Usagers des Transports (Fnaut)
- Eric Lombard, Coordinateur du collectif Stay Grounded France
- Camille, pour le Collectif Non au Terminal 4 de Roissy
- Nicolas Forien, pour le Collectif Oui au train de nuit