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TGV : un cadeau de 30 millions d’euros à la concurrence

18 Mar 2025

La compagnie italienne Trenitalia va bénéficier de 30 millions d’euros d’aides pour concurrencer la SNCF sur la ligne Marseille-Paris. De quoi accélérer l’abandon des liaisons TGV avec les villes moyennes.

Un pont d’or. La France, dans sa quête quasi obsessionnelle de concurrence sur son réseau ferré, va offrir à la compagnie Trenitalia un cadeau de bienvenue se chiffrant à 30 millions d’euros, pour l’aider à s’installer sur le tronçon Marseille-Paris, à partir du 15 juin prochain.

Cette aide, dont le détail a été dévoilé par le syndicat Sud-Rail le 12 mars, correspond à des ristournes sur les péages que chaque train doit payer au gestionnaire du réseau. Péages qui sont parmi les plus élevés d’Europe et représentent au total 40 % du prix des billets. Cette réduction offre un avantage comparatif considérable à la compagnie publique italienne, puisqu’elle représente 28 % des péages la première année (puis 25 % en 2026, 13 % en 2027 et 10 % en 2028 [ ] ). Voilà comment Trenitalia arrive à afficher un prix d’appel imbattable de 27 euros pour son Marseille-Paris.

« C’est un mécanisme tarifaire très normé, contrôlé et validé par l’Autorité de régulation des transports ( ART affirme la SNCF Réseau, gestionnaire des voies, citée par BFMTV L’objectif : aider le nouvel entrant à lancer son offre en compensant temporairement le désavantage qu’il subit face aux opérateurs déjà établis » . Contactée par Reporterre , Trenitalia ne confirme pas, ni n’infirme, les chiffres annoncés : « Le processus de tarification est encore en cours , dit la compagnie. Cette tarification négociée visant à compenser un déséquilibre objectif est un mécanisme temporaire, et non un avantage accordé. »

Pour se lancer sur le Paris-Lyon, en 2022, la compagnie avait déjà bénéficié d’une telle ristourne, ce qui ne lui a paradoxalement pas permis de trouver l’équilibre financier sur ce tronçon pourtant surfréquenté. Selon ses derniers résultats connus, elle a même perdu 34,5 millions d’euros en 2022 , pour un chiffre d’affaires de 37 millions d’euros. Et cela ne s’est pas arrangé en 2023, selon Sud-Rail

Pour les usagers, la concurrence est censée améliorer l’offre et faire baisser les tarifs. C’est ce qu’affirme une nouvelle fois l’Autorité de régulation des transports ( ART ), dans son bilan de l’année 2023 publié le 27 février . Elle constate que la ligne Paris-Lyon a vu circuler 10 % de trains en plus entre 2019 et 2023, avec des tarifs 10 % plus bas, grâce à l’arrivée de Trenitalia.

Les chiffres de Trenitalia soulignent néanmoins que cette bataille, sur le tronçon le plus attractif de France, comporte d’importants coûts cachés.

Le TGV « n’est pas un service public »

Ce constat est vrai également pour la SNCF . Car les ristournes accordées à Trenitalia représentent un manque à gagner immédiat pour la SNCF Réseau, la branche du groupe ferroviaire qui gère l’entretien du réseau et finance l’arrivée des TGV des concurrents. Pour l’heure, l’impact est limité, car la concurrence n’a grignoté qu’un peu plus de 1 % du trafic TGV , selon l’ ART . Mais la libéralisation pourrait finir par bouleverser le secteur. Trois compagnies comptent faire leur entrée d’ici à 2028 : Le Train et Proxima pour les lignes de l’ouest, et Kevin Speed sur celles reliant Paris à Lille, Strasbourg et Lyon.

La note payée par la SNCF est même plus salée que cela, son unique actionnaire, l’État, lui imposant de remonter des sommes toujours plus importantes, pour abonder un « fonds de concours » qui finance les travaux d’entretien du réseau. 1,7 milliard d’euros en 2024, payés uniquement par le groupe SNCF et non par ses concurrents.

Les dessertes des villes moyennes menacées

Pour maintenir cette belle santé financière imposée par l’État, la SNCF envisage de plus en plus clairement d’abandonner les gares peu fréquentées de ses lignes TGV , qui mobilisent des rames et ne sont pas rentables. La moitié des arrêts TGV font perdre de l’argent à SNCF Voyageurs.

L’été dernier, les villes de Sarrebourg, Saverne et Lunéville, dans l’est de la France, ont perdu leur desserte et ne l’ont récupérée qu’après une intense bagarre politique . À moyen terme, les liaisons TGV avec de nombreuses villes comme Annecy, Grenoble, Tarbes, Reims, La Rochelle ou Saint-Malo risquent de se raréfier, ou de carrément disparaître, si les collectivités locales n’ont pas les moyens de les financer directement.

La menace d’un tel fiasco est prise au sérieux par le gouvernement. Le précédent ministre des Transports avait brisé le tabou, fin 2024, en se montrant favorable à une réglementation plus contraignante de la concurrence sur le réseau TGV . Son successeur, Philippe Tabarot, compte lui aussi légiférer, selon Les Échos . Les concurrents de la SNCF pourraient être obligés de desservir des villes moyennes pour pouvoir s’aligner sur les tronçons les plus rentables : Paris-Lyon, Paris-Marseille et Paris-Lille. Une hypothèse qui fait bondir l’Association française du rail , représentant les compagnies privées. Selon elle, le maintien des dessertes non rentables doit être financé par les deniers publics, et non par les compagnies de TGV

L’autre coût caché de la concurrence sur la grande vitesse concerne le matériel roulant. La croisade de la SNCF chez nos voisins européens mobilise des rames, qui manquent cruellement sur le marché français désormais saturé. Le nombre de rames TGV utilisées en France a chuté d’un quart entre 2012 et 2023, selon une étude de Trans-Missions . L’arrivée du nouveau TGV M, plusieurs fois retardé, mais annoncé pour 2026, devrait changer la donne.

En attendant, la SNCF mobilise seize rames pour développer Ouigo en Espagne, assure BFMTV, « alors qu’elles seraient toutes remplies en France. Et malgré cela, Ouigo perd de l’argent en Espagne. Cela signifie que c’est le passager français qui finance cette offensive »

, regrette François Delétraz, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut).

Ces affaires de gros sous, aux conséquences directes sur les prix des billets de train, revêtent un enjeu écologique de taille : un tiers des émissions de gaz à effet de serre de la France sont dues aux transports, de loin le premier poste.

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Article paru dans Reporterre, par Erwan Manac’h