Arrêt de la compagnie privée Midnight Trains, matériel obsolète de la SNCF… La relance des trains de nuit se heurte à de nombreux freins en France. D’autres exemples européens donnent cependant de l’espoir. La Fnaut s’exprime pour Alternatives économiques.
Dans son allocution du 14 juillet 2020, Emmanuel Macron annonçait vouloir relancer les trains de nuit, « parce que ça permet de faire des économies et de réduire nos émissions ». Quatre ans plus tard, la reprise de ce mode de transport est brinquebalante.
A l’image de la liaison Paris-Aurillac, réouverte depuis décembre dernier, et qui figure parmi les huit lignes de nuit gérées par la SNCF grâce à des financements de l’Etat : retard de plusieurs heures, trains supprimés, substitution par autocar… Du côté du privé , la situation n’est guère plus réjouissante : la start-up Midnight Trains, qui prévoyait de lancer cette année « des hôtels sur rails », vient de s’arrêter faute d’investisseurs.
L’offre est limitée en termes de destinations. Elle est également de qualité médiocre, avec des temps de parcours qui nous ramènent à l’époque de la vapeur. Il y a un fossé entre les déclarations politiques et la réalité.
fustige Jean-Marie Tisseuil, membre du bureau de la FNAUT (Fédération nationale des associations des usagers des transports).
La faute à un manque de moyens ? A la sortie de la crise sanitaire, l’Etat a pourtant investi 152 millions d’euros dans la relance des trains de nuit. Mais Patricia Perennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire, relativise cette somme :
« Une rame de train de nuit coûte environ 20 millions d’euros. Or il faut remplacer l’ensemble du parc, composé de matériel de plus de quarante ans, qui rencontre des pannes incessantes. »
L’aide de l’Etat a donc seulement permis à la SNCF de rénover ses rames existantes. Quid de la commande de nouveau matériel ? Nous sommes en attente de signaux de la part de l’Etat à ce sujet » , nous indique laconiquement le service communication de SNCF Voyageurs. Autre grief des usagers :
Il n’y a aucune ligne transversale de train de nuit, elles sont toutes au départ de Paris
dénonce Jean-Marie Tisseuil.
En France, 770 000 passagers ont été transportés en train de nuit en 2023, contre 350 000 en 2019
Si la SNCF ne semble guère motivée à développer ce marché, c’est pour des raisons économiques. Le train de nuit a un coût important : « Il nécessite davantage de personnel qu’un train de jour mais avec moins de voyageurs dans les rames », observe Luc Levert, co-auteur de Trains de nuit (éd. La Vie du Rail), ajoutant que « le réseau pose lui aussi problème. C’est la nuit que se fait la majorité des travaux, entraînant des suppressions de train ou des détournements »
Et pourtant, la demande est bien là. En France, 770 000 passagers ont été transportés en train de nuit en 2023, contre 350 000 en 2019. Les motivations des voyageurs sont variées : financières, écologiques…
Modèle économique incertain
Même si le modèle économique du train de nuit est fragile, des compagnies arrivent aujourd’hui à se développer sur ce créneau. A commencer par l’autrichienne ÖBB, qui a fait de Vienne le hub des trains de nuit européens. Cette compagnie propose près de 21 lignes nocturnes.
« Nous avons développé le train de nuit à partir de 2016 au moment où d’autres abandonnaient cette activité , rappelle Bernhard Rieder, porte-parole d’ÖBB. Nous sommes situés au centre de l’Europe, avec peu de lignes à grande vitesse à proximité. C’est donc idéal pour des connexions de trains de nuit internationaux. »
Contrairement à la SNCF, ÖBB a commandé une trentaine de nouvelles rames – un investissement de près de 700 millions d’euros. « C’est un choix politique. L’Etat autrichien subventionne ce moyen de transport », souligne Luc Levert. En 2023, 1,5 million de passagers ont voyagé dans les trains de nuit autrichiens.
Du côté privé, European Sleeper est aussi en train de réussir son pari de relance du train de nuit. Cette compagnie belgo-néerlandaise, organisée sous forme de coopérative, s’est lancée en 2021 et a réussi à lever près de 5,5 millions d’euros. Elle fait déjà rouler des trains entre Bruxelles (Belgique) et Prague (Tchéquie). Sa recette : l’externalisation.
« Nous sommes l’organisateur mais nous n’opérons pas directement les trains. Nous utilisons notamment le service de Train Charter [une entreprise néerlandaise spécialisée dans les marchés ferroviaires de niche, NDLR.] , ce qui nous a permis de lancer rapidement notre activité, affirme Elmer van Buuren, co-fondateur d’European Sleeper. Il y a des lignes de train de nuit qui, grâce à leur fréquentation, peuvent aujourd’hui fonctionner sans subvention ».
Quel soutien politique ?
European Sleeper se démarque nettement de Midnight Trains. Alors que cette dernière voulait proposer un service haut de gamme à ses voyageurs, la coopérative joue davantage la carte de l’accessibilité et propose même 28 places de vélos à bord de ses trains. La prochaine ligne d’European Sleeper devrait relier Bruxelles à Barcelone, en passant donc par la France. Une difficulté de taille, pour Elmer van Buuren :
« La France a tout investi sur la grande vitesse et a négligé le reste de son réseau, qui est l’un des plus vétustes d’Europe. Nous ne pouvons pas savoir plus de trois mois à l’avance quels itinéraires peuvent prendre nos trains pendant la nuit. »
Le développement d’European Sleeper pourrait bien inspirer d’autres acteurs, et notamment français
Il n’empêche : le développement d’European Sleeper pourrait bien inspirer d’autres acteurs, et notamment français… Les associations « Objectif Train de nuit » et « Trains et Territoires » envisagent ainsi de se transformer dans les prochains mois en coopérative pour développer un projet atypique, en espérant faire mieux que leur consœur « de jour » Railcoop, dont l’ambitieux projet de relance de lignes peu fréquentées a échoué
« Nous croyons au train de nuit mixte, avec à la fois des voyageurs et des marchandises. On pourrait ainsi mutualiser les dépenses », assure Eric Boisseau, président de ces deux associations. La première ligne de cette future coopérative relierait Barcelone (Espagne) à Mannheim (Allemagne). Reste un enjeu politique.
« Si le Nouveau Front populaire est amené à gouverner, on peut s’attendre à un développement des trains de nuit. De son côté, le RN ne s’intéresse en revanche absolument pas au transport ferroviaire » , note Luc Levert.
Les défenseurs du train de nuit ne devraient pas regretter l’actuel ministre des Transports, Patrice Vergriete, ouvertement dubitatif sur la relance de ce mode de transport. « J’ai besoin d’éléments, notamment sur le modèle économique » , avait-il encore déclaré lors d’une rencontre en mai dernier avec l’Association des journalistes des transports et de la mobilité.
Mais pour l’économiste Patricia Perennes, toute relance sérieuse du train de nuit nécessite de passer à une autre échelle : « L’Europe devrait jouer un rôle en subventionnant une dizaine de lignes de trains de nuit sur le continent. Cela pourrait être un symbole aussi fort qu’Erasmus. »
Article du journal Alternatives économiques, par Antoine Pecqueur