par Jean Sivardière, vice-président de la Fnaut
avec la collaboration de François Lemaire, Gérard Mathieu et Jérôme Rebourg
C’est très logiquement que la Fnaut se préoccupe activement de la nouvelle liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin et réaffirme régulièrement sa position favorable à cette liaison fret et voyageurs, qui répond bien à ses objectifs sur les plans régional, national et européen. On trouvera en fin du document nos commentaires sur les préconisations du rapport Duron relatives au Lyon-Turin.
La nouvelle liaison (tunnel interfrontalier et accès depuis Lyon et Turin) est certainement l’investissement ferroviaire, français et européen, le plus important faisant actuellement l’objet d’un débat : financièrement (voir les chiffres précis ci-dessous, section 6) et, plus encore, stratégiquement. Il s’agit en effet d’équiper un corridor international concernant des trafics nord-sud et est-ouest, voyageurs et surtout fret, et de reporter sur le rail un trafic de plus d’un million de camions par an et d’importants trafics automobiles et aériens. Les enjeux sont multiples : préservation de l’environnement des Alpes et de la Côte d’azur, amélioration de la sécurité routière, économies d’énergie, contribution significative à la lutte contre le réchauffement climatique.
Plus généralement, les grands travaux ferroviaires (LGV, Lyon-Turin, CFAL, VFCEA, autoroutes ferroviaires) – qu’il est aujourd’hui de bon ton de dénigrer – sont, pour le réseau classique, l’équivalent des autoroutes pour le réseau routier ordinaire et des RER, métros et tramways pour les réseaux d’autobus urbains ; ils peuvent seuls provoquer des basculements vraiment massifs de clientèle sur le rail et, du même coup, faciliter des mesures de taxation des modes concurrents.
Qu’il s’agisse des transports de voyageurs ou de marchandises, la modernisation du réseau ferroviaire existant est évidemment nécessaire mais ne peut suffire pour capter massivement les trafics routiers et aériens. Il faut donc consacrer une part des financements aux grands projets stratégiques, urbains et ferroviaires. Ce que craint la Fnaut est que le gouvernement manque d’ambition, se contente de financer (très imparfaitement) les nouvelles mobilités (vélo, covoiturage, autopartage, véhicule autonome) et ignore les grands projets urbains et ferroviaires.
Sans autoroutes, la circulation des voitures et camions n’aurait pas explosé comme elle l’a fait, hélas, depuis 50 ans. Sans métros et tramways, la part modale de la voiture à Lyon, Strasbourg et Grenoble ne serait pas devenue inférieure à 50 % et des fortunes y auraient été dépensées pour augmenter la capacité des voiries et des parkings. Sans la LGV Paris-Lyon, on aurait encore un pont aérien entre Paris et Lyon, et l’autoroute A6 serait intégralement à 2 x 3 voies. Et sans tunnels de base (et une exploitation de grande qualité technique), la part modale du fret ferroviaire serait-elle aujourd’hui supérieure à 70 % en Suisse ?
Rappelons ici le résultat d’une étude commandée en 2003 par la Fnaut à deux experts, l’un aérien (Jacques Pavaux, ancien directeur de l’Institut du Transport Aérien), l’autre ferroviaire (Gérard Mathieu, ancien directeur à la SNCF) : quand le réseau des LGV aura été complété, en particulier vers Toulouse et Nice, le TGV aura absorbé un trafic équivalent à la capacité maximale d’Orly, soit 36 millions de voyageurs par an ; le TGV, c’est le troisième aéroport parisien. Voir aussi le succès commercial des relations TGV Paris-Rennes et Paris-Bordeaux depuis l’ouverture des LGV Le Mans-Rennes et Tours-Bordeaux (et même Paris-Toulouse alors que cette relation nécessite encore 4h08 au minimum, ce qui confirme que le fameux « seuil des 3h », au-delà duquel le TGV ne serait plus pertinent face aux autres modes, est un mythe).
Par un jumelage possible avec l’introduction d’une « écotaxe » poids lourds régionale, la liaison Lyon-Turin offre par ailleurs l’occasion de maîtriser le quasi-monopole dont dispose la route pour le transport du fret (elle assure 90 % du trafic, contre 8 % pour le rail et 2 % pour la voie d’eau) – un quasi-monopole très dangereux, le transport routier étant gros consommateur de pétrole et exigeant d’incessants travaux routiers, et les transporteurs pouvant bloquer l’économie en cas de conflit avec l’Etat.