En avant première, découvrez le discours d’ouverture du 23ème Congrès de la Fnaut à Mulhouse qui a eu lieu les 15-17 novembre 2024. François Delétraz y aborde les priorités pour le report modal, la balkanisation, le rôle de l’État qui veut tout et son contraire et de la Fnaut, prête à dégainer son mètre rubans pour mesurer les espaces bagages dans les TGV… Un tour complet d’horizon riche, léger et rempli de bon sens.
Script :
« Bonjour à tous, donc nous voilà, me voilà pour la 1re fois devant vous après Bruno qui a fait cela pendant des années et que je remercie de m’avoir mis le pied à l’étrier et surtout d’être si présent au quotidien pour calmer ma fougue. Je vais vous faire une présentation générale de la situation actuelle et du devenir en France du transport après ça on arrivera à un certain nombre de cas particuliers.
La situation générale n’est pas facile et j’en veux pour preuve une pièce de théâtre qui se joue à Mulhouse en ce moment qui s’appelle Au bout du rouleau, donc c’est tout à fait de circonstance ! »
Rires dans la salle
Remerciements chaleureux à Florent Manrique, organisateur du Congrès
Pousser les usagers vers le train : l’offre, l’offre et encore l’offre !
« Revenons aux choses qui fâchent : la situation du ferroviaire en France. On est dans une situation où le système est sur le point d’imploser à cause des volontés contraires de l’État. A savoir d’un côté, l’État qui dit qu’il faut décarboner, on sait que le seul moyen de décarboner le transport qui est un des plus gros émetteurs de CO2, c’est le train. Or pour que les gens basculent de la voiture vers le train, il n’y a pas trente-six mille solutions, c’est l’offre, l’offre, l’offre. Et en deuxième point, c’est la facilité d’usage du train et seulement en 3ème point il y a le prix. Sauf que dans le ressenti des gens quand on leur demande : « qu’est-ce qui vous empêche de prendre le train ? », la 1ère des réponses c’est le prix. Mais le ressenti n’est pas la réalité et ça c’est très important à comprendre.
On va prendre un exemple extrême, l’Eurostar, avec des prix stratosphériques : regardez pour aller à Londres demain vous n’aurez pas de billets à moins de 300 € l’aller-retour, ce qui ce qui est démentiel pour 2h00 de train ! Et malgré ça, ils ont réussi à tuer la ligne aérienne. Il n’y a quasiment plus d’avions sauf sur Charles de Gaulle pour les correspondances Air France, mais il y aurait un Eurostar entre Londres Saint Pancras et Charles de Gaulle il n’y aurait plus d’avion. Donc c’est l’offre, l’offre, l’offre, c’est toujours la même chose.
Une marge de progression pour le train mais… Les trains, on ne les a pas !
Et la 2ème chose qui est très importante, c’est qu’en France métropolitaine, les statistiques qu’on avait nous, c’est que 80% des déplacements se font en voiture, dont la moitié en autosolisme, 15% se font en train, 1% se font en avion. À la dernière réunion où j’ai assisté avec le Ministre Durovray sur la décarbonation, il a donné des chiffres qui sont encore pires car ils ont calculé les kilomètres parcourus, pas le nombre de déplacements. Donc : 82% voiture et 12% en train ! Donc vous voyez la marge de progression du train est colossale.
Sauf que : il faut des trains, et les trains, on les a pas ! Il y en a 100 qui ont été mis à la poubelle il y a quelques années sous l’égide de Rachel Picard qui voulait augmenter les prix des TGV et donc a réduit l’offre… C’était une erreur stratégique monumentale !
Il y a les 20 TGV qui sont en Espagne pour faire du Ouigo pour essayer de tailler des croupières à la Renfe et diminuer leurs bénéfices. Demain, il y aura les nouveaux TGVM qui iront en Italie pour essayer d’emmerder Trenitalia… On a un vrai problème d’offre en France !
Le RAC (où je n’ai pas que des amis) a fait une étude en disant que le but était de réduire le trafic aérien. Mais si on le voulait, sur Nice par exemple réduire de moitié, il faudrait 5 TGV pour compenser la différence. Ces 5 TGV, qui les a ? C’est tout le problème ! On a l’exemple sur le Paris-Bordeaux qui s’est traduit par une catastrophe pour les usagers du… train (et pas de l’avion) car Air France avec sa navette avait 1 million de sièges par an. À cause de la loi sur les 2h30, on a supprimé la navette et dans le même temps la SNCF a augmenté son offre de sièges de… 0. Qu’est-ce qui s’est passé pour les passagers du train ? Une augmentation 20% !
Donc vous voyez, la problématique qu’on a en France sur l’offre… et c’est même pire que ça ! Sur le Paris-Bordeaux, la SNCF avait intérêt à vendre du Paris Bordeaux non-stop et pas faire de cabotage car elle ne gagne pas d’argent dessus. Faisant ça, elle a augmenté énormément ses prix sur les portions intermédiaires. Qu’est-ce qu’on fait les gens ? Ils ont pris leur voiture ! Donc on est devant une vraie problématique où si l’offre ne suit pas, on ne décarbonera pas. C’est triste à dire mais c’est comme ça.
Et l’État, dans tout ça ? Il veut tout et son contraire !
Et là-dessus, la problématique de l’État, qui est le 1er actionnaire de la SNCF et qui veut tout et son contraire de la SNCF et c’est le passager qui trinque ! C’est vous, c’est moi, c’est tout le monde ! Quand vous achetez un billet de TGV à 100 € il faut savoir qu’il y a 40 € qui vont pour le réseau, il y a 10 € de TVA non récupérables dans les entreprises et sur les 50 € qui restent, s’il y a un petit bénéfice, il part à fonds de concours pour payer le réseau ! C’est le cas unique en Europe, c’est le seul cas où c’est comme ça.
Donc l’État est en train d’essayer de faire financer le réseau par le passager, et même pire que ça ! Il exige que la SNCF fasse les bénéfices en fin d’année. L’an dernier, Marc Debrincat me détrompera si je dis une connerie, la SNCF a reversé 1 milliards 700 millions à l’État. D’où provient cet argent principalement ? Des passagers du TGV et des régions ! Pourquoi est-ce qu’il vient des régions ? TER est une entreprise qui facture cher ses prestations parce qu’elle est obligée de faire des bénéfices et d’en reverser une partie à l’État. Il n’aurait pas cette exigence-là, TER aurait des tarifs qui seraient au niveau des concurrents… L’État veut tout et son contraire !
Même chose pour le TGV, je vous ai fait l’exemple sur le billet à 100 €, c’est inadmissible que le passager reverse la moitié de son billet à l’État. Quand vous roulez en voiture, même thermique ou électrique peu importe, en autobus, en camionnette sur une route de France (je ne parle pas d’une autoroute) : vous ne payez pas de péage ! Pourquoi est-ce que le passager du TER sur la voie ferrée qui est à côté de la route payerait un péage être sur quelque chose qui appartient à l’État !
On a une vraie problématique qui a une incidence sur la demande pour le train. Heureusement en ce moment, la demande est tellement forte que le train n’arrive plus à suivre. Mais demain, il faut qu’il ait de l’offre, de l’offre pas chère, et il faut que l’État remplisse son rôle.
On fait beaucoup de bashing autour de la SNCF qui fait ceci, qui fait cela, on verra plusieurs points tout à l’heure car ce sont des vrais problèmes, parce que l’entreprise est certes compliquée, parce qu’il y a des grandes écoles qui pensent un peu trop… Bref. Il n’empêche que c’est facile de faire du bashing sur la SNCF quand elle ne gagne que 50 € un billet à 100 € ! Et même si elle réduisait ses prix et qu’elle améliorait sa productivité, ça ne jouerait que sur la moitié du prix du billet !
Le système ferroviaire français est en fait dirigé par le Ministère des finances qui veut que ça lui coûte le moins cher possible, or ça n’est pas possible. On est en France le pays d’Europe le moins disant, à savoir que par Français, l’État met 50 € dans système ferroviaire. En Allemagne, c’est plus de 100 et en Suisse c’est 450 ! Donc vous voyez la différence ! Il y a un moment où il faut savoir ce qu’on veut. C’est aux politiques de dire ce qu’ils veulent : qu’est-ce qu’ils veulent du réseau, est-ce qu’on fait ceci, est-ce qu’on fait cela : quelles sont les priorités ? Veut-on décarboner ? Si oui, il n’y a pas d’autre solution que le ferroviaire, c’est comme ça. Là où le ferroviaire peut gagner, c’est sur la voiture. Donc on a une vraie problématique du système ferroviaire en France.
Le rôle de la Fnaut
Là-dessus, quel est le rôle de la Fnaut ? C’est de défendre les passagers, on est une association de consommateurs. Pourquoi est-ce que je vous explique ça, parce qu’évidemment, moins les billets seront chers, plus ce sera facile ! Imaginez que les billets TGV coûtaient 50 € au lieu de 100 € ! Évidemment la SNCF n’arriverait pas à suivre, mais il y aurait beaucoup moins de gens qui prendraient leur voiture. C’est à l’État de décider ce qu’il veut.
Nous, association de consommateurs, on défend les usagers, le prix, la facilité d’usage, on se bat contre un certain nombre d’hérésies inventées ici ou là, on se bat pour que le système soit le plus facile possible pour l’usager.
Balkanisation du système en France : c’est de pire en pire !
Vous savez en Suisse, quand vous allez sur le site des CFF, vous pouvez tout acheter : le bateau, le billet à Lausanne, le train pour aller à Genève, l’Intercités pour aller à Zurich, le Car Postal, etc. Pourquoi est-ce que c’est comme ça en Suisse ? Car le gouvernement fédéral a inventé un système qui s’appelle « Direktverkerh » et toute Autorité Organisatrice (AO) est obligée d’y adhérer. Donc les CFF peuvent tout vendre. En France, on est en train d’assister à une balkanisation du système qui est de pire en pire.
À savoir qu’on a les Régions (dont on parlera demain)… On va faire un petit test, tiens ! Je suis allé à une réunion il n’y a pas longtemps où les gens devant moi n’étaient pas des spécialistes et je me suis mis à faire ce test : est-ce que dans la salle il y a quelqu’un qui sait ce que sont les trains et les bus « Rémi » ? »
Quelques bruits dans la salle
« Ah c’est un peu plus qu’à ma dernière réunion ! Pourquoi est-ce que je vous pose cette question-là, c’est parce que chaque région est en train d’inventer son propre système et que demain ces systèmes ne parleront pas entre eux. On est en train de faire le chemin inverse de ce qu’a fait la Suisse. Or la facilité l’usage, c’est l’arme essentielle pour que les gens abandonnent leur voiture. Quand vous avez du paiement par carte bancaire dans un réseau urbain, l’augmentation du chiffre d’affaires est de 20 à 25% ! Alors que l’offre est exactement la même, uniquement parce que c’est facile d’usage. Quand on voit qu’Ile-de-France Mobilités (IDFM)… »
François cherche des yeux Marc Pélissier
« … invente une usine à gaz pour payer son métro, on ne comprend plus rien ! Pourquoi ne pas choisir la méthode la plus simple, qui marche partout et qui permet aux voyageurs d’abandonner leur voiture pour aller vers le transport public ? On a des vraies difficultés.
Proposition du Président : à vos mètres rubans, mesurez les espaces bagages !
On a fait plusieurs communiqués de presse cet été, certains ont bien marché et certains ont eu beaucoup de critiques je dois le reconnaître humblement. Il n’empêche que la problématique des bagages est quelque chose de majeur dans les TGV aujourd’hui. On essaie de faire supporter aux passagers la problématique du bagage alors que ce n’est pas de sa faute. C’est la faute du constructeur et de celui qui a commandé les voitures, car dans les TGV Duplex, il n’y a pas assez de place pour les valises ! Honnêtement un jour, ça vaudrait la peine qu’on s’achète tous un billet TGV dans une voiture et on vient avec nos 2 valises autorisées par les nouvelles Conditions Générales de Ventes SNCF (CGV). Vous allez voir le résultat : le train ne partira pas !
On a demandé à la SNCF de nous donner une étude sur combien de bagages pouvait prendre un TGV, évidemment pas de réponse. Donc je vais vous faire une proposition. Il y a beaucoup d’hommes dans la salle mais il y a quelques femmes et sans sexisme aucun, je vous propose d’aller tous dans une mercerie et d’acheter un mètre ruban. »
Des rires dans la salle, François Delétraz brandit un mètre ruban au-dessus de sa tête
« Voyez, c’est tout simple, ça coûte 1€. La prochaine fois que vous prenez le train vous notez le type de matériel dans lequel vous êtes et vous mesurez voiture par voiture l’espace pour les bagages. Ça c’est le rôle de la Fnaut. On pourra dire à la SNCF « sur tel TGV, tel nombre de bagages rentrent et votre nouvelle règle ne tient pas la route, et ce n’est pas la faute des passagers ! Vous n’avez pas fait le nécessaire pour que tous les bagages puissent rentrer dans le TGV. ». Ça a été une des raisons pour lesquelles Alstom a perdu le contrat sur l’Eurostar ! Alors il y avait la capacité, la motorisation répartie etc. bien-sûr mais une des raisons était la problématique des bagages ! Par exemple sur les Siemens vous avez une place pour les bagages qui est hallucinante.
Nous Fnaut, on est l’organisation la plus pertinente en termes de transport en France aujourd’hui. D’ailleurs je dois dire qu’il y a un certain nombre de collectivités locales qui usent et abusent de notre savoir-faire, nous considérant comme une entreprise de conseil alors qu’on facture rien !
Le rôle de la Fnaut est à la fois d’être dans des problématiques de structure (cf. ce dont je vous ai parlé au début) car c’est essentiel, c’est le train et le passager de demain, mais aussi on est dans des détails comme l’hérésie des trains complets, les TER à réservation obligatoire même si je sais que David Valence n’est pas d’accord avec moi. La facilité de prendre le train, c’est ce qui fait qu’on prend le train, on le prend quand on veut et comme on veut ! L’avionisation du système ferroviaire en France est une mauvaise idée et c’est un handicap pour le report modal de la voiture vers le train.
On me fait des signes en fond de salle, Monsieur Wolff je vous cède la parole.
Applaudissements. Jean-Pierre Wolff s’installe à la tribune.
Autres interventions à suivre… !