Notre Président Bruno Gazeau s’est exprimé dans une tribune du journal Le Monde afin de réaffirmer la position de la Fnaut de donner la priorité au ferroviaire.
Il est impératif et urgent d’agir. Osons le train, celui du climat ne passera pas deux fois.
« Ne soyons pas la génération du renoncement et du malthusianisme ferroviaire. Il n’échappe à personne que le coût des énergies fossiles ne baissera pas, du fait de l’instabilité du monde, de la multiplication des zones de conflit et des conséquences du changement climatique. Se pencher sérieusement sur le modèle économique des mobilités est indispensable. La mobilité sera de plus en plus chère et n’est pas payée à son vrai coût.
Les Français se sont habitués à un carburant bon marché qui, en réalité, n’est pas plus cher aujourd’hui qu’il y a trente ans. Dans l’aérien, les vols low cost, pour l’équivalent de quelques pleins, ont bousculé les repères. Quant au train, perçu comme cher pour les TGV, l’usager des transports régionaux n’en paie que 26 % du coût.
Des modèles opaques
Les marchandises, en outre, voyagent et traversent le monde, de l’Asie vers l’Europe, par conteneurs entiers, tant le coût du transport est faible dans le prix de vente final. Plus près de nous, les commandes chez Amazon ou les repas livrés à domicile affichent souvent la mention « livraison gratuite », accréditant l’idée que la mobilité ne vaut que « trois fois rien ». L’exemple allemand du passe à 9 euros [cet été], aubaine pour les usagers, occulte son coût réel [1 milliard d’euros par mois], équivalent à une année d’investissement sur le réseau français.
Le coût des externalités (pollution, accidents, coût d’usage des routes et des voiries) n’est pas pris en compte et rend opaques les modèles économiques depuis des décennies. Certains modes de déplacement sont défiscalisés ou bénéficient d’aides fiscales spécifiques (avion, voiture, camion…). Hormis sur l’autoroute, l’automobiliste ne paie pas l’usage de la route à son vrai coût alors que le train paie un droit de passage avec la tarification des sillons ferroviaires, qui représente de 30 % à 40 % du prix du billet.
D’autres modes, comme le train ou les transports publics, sont subventionnés soit par l’Etat soit par les autorités organisatrices, par voie de contrat. Il en résulte une absence de perception du coût réel des mobilités. Il est donc difficile de les comparer et, dès lors, de proposer des politiques de mobilité comprises et acceptées par les citoyens.
Les partis politiques, pour beaucoup d’entre eux, ont plébiscité la baisse des taxes au nom du pouvoir d’achat, conservant à la voiture toute sa place. Cette politique coûteuse (3 milliards d’euros sur trois mois pour un carburant à environ 1,80 euro), qui va à l’encontre de la moindre dépendance aux énergies fossiles est cependant temporairement nécessaire, si elle est associée à des mesures de rééquilibrage des modes de transport, à des investissements massifs dans les modes vertueux et à une pédagogie qui invite nos concitoyens à faire évoluer leurs comportements.
Autopartage, covoiturage, vélo et marche
La première ministre a remis la question des mobilités dans le débat politique, et a déclaré que le ferroviaire en serait « l’épine dorsale » [ou la « colonne vertébrale »]. Mais la signature du contrat de performance de SNCF Réseau, unanimement critiqué pour son insuffisance et son malthusianisme, ainsi que l’engagement sur la voiture électrique en leasing viennent tempérer cet enthousiasme.
Pourtant, l’intention est louable, car aligner nos efforts sur ceux de nos voisins (qui leur coûtent 7 milliards d’euros par an pendant dix ou quinze ans) est nécessaire pour disposer d’un réseau rajeuni et fiable, mettre en place les RER métropolitains, financer les lignes régionales et Intercités essentielles pour les territoires et indispensables à la réduction de la dépendance automobile, tenir les engagements de l’ancien premier ministre [Jean Castex] de financer les premières phases des nouvelles lignes littorales (Nice-Marseille et Montpellier-Perpignan) et résoudre la question des nœuds ferroviaires (Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse) pour répondre aux besoins du fret et des transports du quotidien.
Pour autant, un système ferroviaire « épine dorsale » suppose d’autres systèmes complémentaires de mobilité venant s’y greffer : l’autopartage, le covoiturage, les dessertes de rabattement par autocar, sur les gares et les pôles d’échanges, ainsi que les modes actifs tels que le vélo et la marche, ont toute leur place.
Ils exigent que l’organisation des correspondances, l’information et la gestion des situations perturbées progressent en même temps. Force est de constater que la priorité donnée au ferroviaire est relative, les investissements routiers (rocades périurbaines, nouveaux kilomètres autoroutiers) demeurent. Mais, entre le RER métropolitain ou la rocade autoroutière, il faut choisir, de la même façon qu’il convient de limiter l’usage de la voiture en ville et de mieux répartir l’usage de la voirie.
Equité et bon sens
Oui, le saut à réaliser est important, puisque donner la priorité au ferroviaire nécessite un doublement des investissements qui lui sont consacrés, quand de nombreux secteurs réclament eux aussi des investissements conséquents.
Mais c’est possible, en prenant les mesures qui relèvent de la réponse au changement climatique et celles qui répondent à l’équité ou au bon sens, souvent déjà expérimentées : rétablir l’écotaxe, dont l’abandon est la cause du retard important d’investissement ; capter la plus-value immobilière résultant de l’investissement public dans les infrastructures ; donner un prix aux livraisons en ville au titre du droit d’usage de la voirie ; mettre en œuvre le péage urbain, qu’il soit de stock (stationnement) ou de flux.
Enfin, le gouvernement et les collectivités locales doivent développer une pédagogie de la prise en compte par chacun du coût de la mobilité. Une loi de programmation est indispensable pour dessiner l’avenir : comment inviter les citoyens à choisir leur domicile en prenant en compte le coût de la mobilité quotidienne, comment leur demander de renoncer à la deuxième voiture s’ils ignorent les possibilités offertes par les réseaux de transports publics dans les dix ans qui viennent et s’ils n’entendent parler que de fermeture de lignes et de trains supprimés. Il est impératif et urgent d’agir. Osons le train, celui du climat ne passera pas deux fois. »
- Bruno Gazeau, président de la Fnaut, tél. 06 76 73 31 09