Voyager avec la SNCF, surtout en TGV, a un prix. Nous avons décrypté cette tarification pas toujours claire et exploré les possibles pistes d’évolution.
Prudence si vous demandez à vos compagnons de voyage,dans une voiture de TGV, combien ils ont payé leur Paris-Lyon, car cette question pourrait susciter certaines crispations, voire jalousies. Votre voisin, installé côté fenêtre, a peut-être payé son billet un peu moins cher que vous, tandis que le couple de l’autre côté du couloir aura déboursé quelques dizaines d’euros de plus par personne. Ou vice versa. Et si vous continuez votre enquête dans ce wagon fictif, vous verrez que Jacques circule pour 29 euros, Léa pour 65, Jeanne pour 38, Léon pour 109 et Dominique pour 70.
Alors que tout le monde bénéficie de conditions de confort identiques et arrivera à la même heure à la gare de Lyon-Part-Dieu. Mais aucun de ces voyageurs n’a acheté son billet au même moment disposer de suffisamment de trains pour satisfaire la demande.
La faute à la tarification dynamique
En effet, on peut trouver une quinzaine de prix différents pour un même trajet, et cela ne relève pas d’un quelconque bug. Cette pratique tarifaire, le yield management, soit la « tarification en temps réel », a été lancée dans les années 1980 par des compagnies américaines à la suite de la déréglementation du secteur aérien.
Particulièrement profitable (American Airlines avait généré 1,4 milliard de revenus supplémentaires entre 1989 et 1991), la méthode a été importée par la SNCF en 1993 lors de l’inauguration de la ligne à grande vitesse Nord, reléguant ainsi l’antique tarif kilométrique aux oubliettes. À l’origine, l’idée était de mieux gérer le remplissage des rames, avec des prix plus attractifs afin d’orienter les passagers vers les TGV moins sollicités. Désormais, le yield management maximise les profits sur ces trains, au risque de rendre la politique tarifaire complètement illisible pour le commun des mortels.
Un algorithme au coeur du système
Le processus déterminant les prix est complexe. Un algorithme, piloté humainement depuis La Défense (Hauts-de-Seine), ajuste les montants en fonction d’une multitude de facteurs. Certains paraissent évidents : les TGV circulant les jours ou heures de pointe sont généralement plus chers, selon le principe de l’offre et de la demande. Mais d’autres facteurs le sont moins. Le moment où vous effectuez la réservation, les prix de la concurrence (avion, bus), le profil des voyageurs, l’historique des ventes, etc., font osciller le tarif d’un instant à l’autre (en période de pointe, 30 billets peuvent être achetés par seconde). Une carte de réduction, la possibilité ou non d’échanger ou d’annuler un trajet font aussi varier le coût. On comprend ainsi pourquoi notre voisin du Paris-Lyon n’a pas déboursé la même somme que nous. Et s’il s’en sort pour beaucoup moins cher, c’est certainement qu’il a réservé en avance (jusqu’à trois ou quatre mois, selon le calendrier d’ouverture des réservations). Pourtant, cette règle est loin d’être immuable, comme on peut le voir en simulant un Paris-Bordeaux. Le départ à la dernière minute le mercredi 11 septembre coûte 123 euros. Si vous choisissez de reporter votre voyage de deux jours, mais en réservant tout de suite, vous payez 99 euros. Pour une escapade deux semaines plus tard, le billet s’affiche à 55 euros, tandis que dans cinq, il est à… 76 euros.
Des tarifs qui laissent des voyageurs à quai
Pour se défendre, la SNCF avance qu’avec la tarification dynamique 89 % des billets sont vendus moins cher que si les prix étaient fixes. Problème,
le yield management entretient cette impression du train cher
assène François Delétraz, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). Selon une étude de l’Ifop, réalisée pour son organisation en 2024, « la forte volatilité des prix constitue un frein majeur aux déplacements imprévus ou de “dernière minute”, beaucoup trop chers par rapport à l’automobile ». Et 84 % des non-utilisateurs de train perçoivent les tarifs du TGV comme trop élevés, contre 70 % chez les usagers.
« La cherté du train est à nuancer, précise Patricia Perennes, experte du ferroviaire. Le TGV coûte cher en famille ; si vous êtes seul, il est souvent plus intéressant que la voiture. De plus, les débats concernant le yield management se focalisent sur le prix maximum payé, on ne pense jamais au minimum. »
Des coûts d’exploitation qui plombent l’addition
Au-delà des variations tarifaires, qu’est-ce que comprend le prix d’un billet de TGV ? Contrairement aux trains express régionaux (TER), dont les régions absorbent les deux tiers du coût, les TGV ne bénéficient pas de subventions. Les usagers paient l’intégralité du coût d’exploitation. Et notamment le péage d’infrastructure, principale charge d’un billet (voir infographie page précédente) : 30 à 40 % du coût, contre 15 % pour le TER ! De quoi s’agit-il ? En France, l’infrastructure ferrée est entretenue par SNCF Réseau. Avec ce péage appliqué à tous les trains, la filiale du groupe SNCF finance l’entretien et la rénovation de 27 500 kilomètres de voies. Or ce tarif n’a pas fini d’augmenter. En septembre, l’Autorité de régulation des transports (ART) a approuvé des hausses du péage pour 2024, 2025 et 2026. Ses recettes, comme les bénéfices de la SNCF (1,3 milliard d’euros en 2023), doivent également financer le plan à 100 milliards d’euros de modernisation du ferroviaire, acté par le gouvernement Borne en 2023.
Une aide de l’État pour réduire la note ?
Existe-t-il des possibilités de faire baisser les prix du TGV pour les voyageurs (122 millions en 2023) ? Selon François Delétraz, la suppression de la TVA de 10 % sur les billets de train serait un premier levier. Surtout, l’unique actionnaire de la SNCF pourrait dupliquer la règle de financement des routes nationales au ferroviaire. Si leur entretien est assumé par l’État, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le réseau ferré ? Tous les contribuables, et non plus les seuls usagers du train, prendraient alors en charge la maintenance du réseau. Le tarif du péage diminuerait, le billet aussi, une partie du manque à gagner pour l’entretien des voies pouvant être compensée par une hausse de circulation des trains, argumentent les défenseurs de cette option. Une fausse bonne solution pour la spécialiste Patricia Perennes : « Un TGV est occupé à 80 % par des cadres, pour des motifs professionnels ou personnels (vacances…). Ce sont majoritairement des personnes qui ont les moyens de payer le TGV, dont le taux de remplissage, de surcroît, va grandissant [aux alentours de 80 %, ndlr]. » Faire payer la facture des travaux ferroviaires à des non-usagers serait donc injuste.
La concurrence, un autre levier ?
Augmenter l’offre globale de trains pourrait faire baisser la facture. Plus de cadence, moins de tension sur les prix et des tarifs attractifs si les opérateurs veulent les remplir. Dans cette perspective, l’ouverture à la concurrence depuis 2019 (sur Barcelone- Lyon et Madrid-Marseille par l’espagnole Renfe, et Paris-Milan via Lyon avec Trenitalia) serait une bonne chose. Ce qui se confirme sur Paris-Lyon : la note y a baissé de 10 %, a analysé l’ART. Mais si les
prix diminuent sur les deux ou trois lignes où il y a de la concurrence, ils augmenteront sur d’autres
modère François Delétraz. En 2023, les tarifs moyens des TGV ont augmenté de 5 % selon la SNCF, 7 % selon l’ART. Les augmentations les plus sensibles des dernières années concernent d’ailleurs les Ouigo, l’offre low cost de la SNCF : le prix moyen est passé de 23 à 31 euros entre 2018 et 2022 (FNAUT).
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Article paru dans Ça m’intéresse, écrit par Nicolas Montard
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