Le « Pacte Vert » européen endossé par les Etats de l’Union impose d’augmenter de 50 % la part modale des chemins de fer et des transports publics d’ici 2030, et de la doubler en 2050. Un « choc d’offre » est indispensable pour absorber le surcroit de passagers. Il faut aussi un « choc de simplicité » pour inciter à l’usage des transports publics en en facilitant l’accès, sans quoi ses objectifs ambitieux resteront lettre morte. Visés par ce « choc de simplicité » : l’information sur les services, la distribution des titres et la protection du voyageur durant tout son trajet. Tel est l’enjeu de la numérisation, qui a aussi ses limites.
La numérisation : oui, mais pour le voyageur !
Sans entrer dans les disputes technologiques, la numérisation de la vente et de la distribution peut être prometteuse pourvu qu’elle apporte des solutions simples et accessibles à tous les utilisateurs des transports. Or, le paysage actuel des transports publics français est d’une rare complexité : 42 cartes de réduction pour les TER, 11 sites Internet SNCF, dialogue souvent inexistant entre agglomérations et régions…
La tendance à la balkanisation des systèmes de vente et d’information est un obstacle de taille face à l’indispensable transfert modal. D’autant plus que les relations transfrontalières vont se développer et que de nouvelles compagnies ferroviaires vont apparaître à la suite de l’ouverture à la concurrence. La Fédération européenne des voyageurs (FEV) a listé quelles seraient, du point de vue du voyageur, les conditions à remplir pour que la numérisation rime avec augmentation du trafic des transports publics et des modes doux.
Donner accès à « un réseau de réseaux »
L’attractivité des transports publics est d’autant plus grande que le voyageur peut accéder à « un réseau de réseaux » qui facilite ses déplacements de bout en bout. Cela suppose de développer les interfaces entre transporteurs, autorités, systèmes, modes, à l’aide de standards ouverts et interopérables – à la condition que toutes les parties prenantes coopèrent, sans pour autant réduire ou faire disparaître les bénéfices apportés par une offre diversifiée et concurrente. Exemples : le Deutschland Ticket, abonnement mensuel unique utilisable dans l’ensemble des transports publics créé à l’issue de cinq mois de dialogue entre Berlin et les 16 Länder, ou encore le Pass’Rail français, qui a obligé les régions à se parler…
La numérisation, c’est une information et une billettique multimodales
Pour faire un choix informé, le voyageur doit connaître toutes les possibilités de déplacement pour s’organiser, réserver et payer son déplacement multimodal auprès d’un seul et unique guichet. Il faut pour cela des données accessibles et partagées, ce qui suppose des accords équitables et non discriminatoires entre prestataires, afin que les compagnies et les plateformes de vente puissent proposer des voyages de bout en bout, quels que soient les transporteurs, les modes de transport et les types de services utilisés. Parce que les entreprises ferroviaires européennes n’ont pas su ou voulu s’entendre sur cette approche, la nouvelle Commission légiférera d’ici fin 2025 avec un règlement qui prévoit d’établir un système unique de réservation et de billetterie numériques pour l’ensemble de l’Union, afin que les voyageurs puissent acheter un billet unique de bout en bout auprès d’une plateforme unique. Et bénéficier, pour l’ensemble de leur trajet, de leurs droits et compensations en cas de dysfonctionnement d’un des moyens de transport.
Les bonnes pratiques, en Suisse, en France et ailleurs…
Avant de numériser, il faut dialoguer et échanger des données, comme le montrent diverses réalisations. L’appli Easy Ride des CFF permet d’acheter, en sus des billets de la compagnie, les titres de transport de tous les réseaux du pays : autocars postaux, transports urbains, chemins de fer cantonaux, compagnies de navigation… Le billet grandes lignes de la DB peut être couplé avec un trajet sur le réseau de la ville de destination pour achever son voyage. En Normandie, le titre TER, délivré par l’application Fairtiq est compatible avec les réseaux urbains de Caen et du Havre et avec certains autocars régionaux. L’« open payment » avec validation par carte bancaire lors de la montée fonctionne à Aix-les-Bains, Dijon, Lyon, Bruxelles,… L’application britannique Delay-Repay permet au voyageur d’être automatiquement compensé en cas de retard ou d’annulation de son train s’il a payé son voyage par carte bancaire.
Il suffit parfois que les partenaires se parlent en amont : en Suisse, la carte de la chambre d’hôtel donne libre circulation sur le réseau urbain de la ville, ou même du canton, comme dans le Tessin ; en Allemagne, la carte d’hôtel en Forêt Noire vaut titre de transport sur le réseau régional.
Mais face à l’illectronisme, qui touche de 20 à 30 % de la population des pays de l’Union européenne, la numérisation ne remplace pas la présence humaine. En Italie, dans les halls de gare, on trouve des stands d’information, d’assistance et de vente de dernière minute, aussi bien pour les TGV Trenitalia ou Italo, que pour les services régionaux. L’association d’usagers allemande Pro Bahn dans sa position de septembre 2024, demande que, dans les transports, le téléphone soit une option, non une obligation. Michel Quidort Président de la Fédération européenne des voyageurs
Article paru dans Fnaut Infos n°311, rédigé par Michel Quidort, Président de la FEV