
La Fnaut a proposé, en février 2025, des « éléments de réflexion » sur la gratuité des transports publics. Retour sur la position de la Fnaut quant à la gratuité.
Pourquoi parler aujourd’hui de la gratuité ? La Fnaut a-t-elle changé d’avis ?
C’est un débat de société, notamment à l’occasion des élections municipales de 2026. Les débats entre partisans et opposants sont souvent vifs, occultant l’essentiel : comment améliorer la mobilité pour toutes et tous ? La Fnaut étudie ces questions depuis longtemps (voir Fnaut Infos 230,268,275,278,280). Dès 2017, la Fnaut se dit favorable à la gratuité « pour ceux qui en ont besoin », tout en soulignant que la gratuité totale, isolée de toute autre mesure, ne favorise pas un report modal. L’argument principal de la Fnaut demeure inchangé : l’offre de transport est prioritaire.
Ce qui a évolué, c’est la situation sur le terrain : aujourd’hui, plus de 40 réseaux pratiquent la gratuité totale, dont 8 dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Au total plus de 2 millions de personnes vivent dans des réseaux en « gratuité » totale ! Certaines expériences, comme à Dunkerque, fonctionnent bien, tandis que d’autres rencontrent des difficultés (voir exemples page 3 et 4). Un réseau, gratuit ou non, n’est attractif que quand l’offre de transport est de qualité. La Fnaut insiste depuis longtemps sur la nécessité d’investir massivement dans les infrastructures et services de transport public pour répondre à la demande croissante. Le prix n’a qu’un rôle limité : ce qui est important, c’est la rapidité, les fréquences et l’amplitude, la proximité et le maillage, la fiabilité et la facilité d’accès.
Comment garantir le droit à la mobilité pour toutes et tous ?
La loi d’orientation des mobilités de 2019 a consacré « le droit à la mobilité ». Le but est 4. Comment donc financer les transports publics ? que chaque citoyenne et chaque citoyen puisse « se déplacer dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité, de prix et de coût pour la collectivité, notamment, par l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public. » Quel est alors le prix raisonnable ? Il ne doit pas être un obstacle, en particulier pour les populations les plus vulnérables. La Fnaut prône des tarifications solidaires : tarifs réduits, voire gratuité partielle, pour les jeunes, familles nombreuses, seniors, ou pour toute personne en fonction de ses revenus. Améliorer la mobilité de ces publics est une question sociale, citoyenne, et un enjeu collectif pour l’avenir. La gratuité pour les jeunes de moins de 18 ou 25 ans est particulièrement pertinente : elle favorise l’habitude d’utiliser les transports en commun, encourageant ainsi une mobilité durable à l’âge adulte. Toutefois, la Fnaut alerte sur le nonrecours aux droits : les démarches doivent rester simples afin que les bénéficiaires potentiels puissent en profiter pleinement.
Quelles recommandations pour les autorités organisatrices ?
La question centrale est de garantir un financement suffisant pour assurer un service de qualité. Indépendamment du choix d’un réseau payant, d’une gratuité partielle ou totale, l’essentiel est de mobiliser plus de ressources pour les transports collectifs.
Dans les agglomérations françaises, notamment dans les villes moyennes et les zones périurbaines, les offres de transport en commun sont sensiblement inférieures à celles que l’on trouve en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Suisse. Les collectivités doivent garantir des financements supplémentaires pour améliorer leur offre de mobilité.
Comment donc financer les transports publics ?
En France, le financement des transports repose sur trois piliers : les usagers, les entreprises et les collectivités. Ces trois acteurs économiques ne sont pas si distincts qu’on voudrait le croire: au final une citoyenne salariée contribue directement par le prix de son titre de transport, via son entreprise à qui elle apporte sa force de travail, et via sa collectivité locale par ses impôts. Dans un contexte économique difficile, chaque acteur est soucieux d’optimiser au mieux ses budgets : tout est alors question de curseur entre ces différentes contributions.
Le débat rejoint celui du financement d’autres services publics : écoles, hôpitaux, eau, assainissement… L’entretien et l’exploitation des infrastructures routières sont massivement subventionnés, alors que les transports publics reçoivent une part moindre des financements de l’État. La Fnaut dénonce depuis longtemps cette inégalité. Il est essentiel de relancer le financement des mobilités (voir article page 4, « Ambition France Transports »).
Au final, il s’agit de choix de société. Les décisions politiques nationales et locales déterminent la répartition des financements entre les différents acteurs. Indépendamment de ces arbitrages, la Fnaut réaffirme que la priorité absolue est d’assurer un financement stable et suffisant des réseaux de transports publics pour améliorer leur offre. Les associations de la Fnaut interpelleront les listes candidates aux municipales : comment envisagent-elles cette relance de l’offre dans leur agglomération ?
Mathieu Giraud
Questions de vocabulaire
On entend souvent « Ce qui est gratuit n’a pas de valeur… ». Et rien n’est gratuit ! Le terme « gratuité » est trompeur. Le transport collectif est un bien commun, avec une valeur et un coût que nous choisissons d’assumer collectivement. Il est plus juste de parler de « mutualisation du coût du transport public », d’« accès libre » ou d’« abonnement collectif ».
Niort : une gratuité contre-productive et une baisse de l’offre
Une gratuité des transports en commun mal planifiée est contre-productive, comme le montre l’exemple de Niort, passée à la gratuité en 2017. Avant la gratuité, la billetterie rapportait 1,5 million d’euros, couvrant 11 % du coût du service.
En 2016, la subvention était de 11,9 millions d’euros. La perte de recettes a entraîné une réduction de l’offre de 27 % en kilomètres. Des lignes ont été supprimées et des fréquences diminuées, affectant directement les usagers quotidiens. Certains habitants ont vu leur temps d’attente doubler, notamment sur les lignes principales. Par exemple, entre la gare et un bureau en centre-ville, la fréquence est passée de 10 minutes à 20 minutes (ligne 1 versus tronçon commun ex A et B). Certains salariés ont même repris la voiture en raison de la dégradation du service.
En réalité, la subvention communautaire a même augmenté, atteignant 14,1 millions d’euros après la gratuité, sans que la qualité du service ne s’améliore. Le modèle de rémunération de l’opérateur, basé sur une augmentation de la fréquentation, pose problème: l’absence de comptage fiable a conduit à une erreur d’évaluation de la fréquentation avant gratuité. De nombreux usagers souhaiteraient aujourd’hui un retour à un réseau payant mais plus efficace.
Plus que la gratuité, l’erreur de Niort est l’abandon du projet de transport en commun en site propre (TCSP). Il aurait relié Chauray (deuxième ville du pôle urbain en terme d’habitants et d’emplois) à la zone de la Mude sur la commune de Bessines (avec beaucoup d’emplois), tout en desservant plusieurs entreprises et organismes, dont l’hôpital et la gare. Ce projet aurait permis d’améliorer l’offre et de réduire l’usage de la voiture, un enjeu essentiel pour toute politique de mobilité durable.
Christophe Huchède, Président de l’Association pour le Développement des Moyens Alternatifs à la Voiture en niortais (ADeMAV)
Nantes : gratuité du week-end, mais poursuite des investissements
Le réseau nantais est structuré par 44 km de lignes de tram, deux lignes de « busway » largement en site propre, 8 lignes de « chronobus » aux points noirs aménagés, tous services à fréquence serrée et large plage de service. Le réseau est complété par une quarantaine de lignes de bus classiques et quelques services divers (bus express, bateaux-passeurs, liaison aéroport).
Le réseau a battu ses records de fréquentation en 2024 : 153 millions de voyages, 225 par habitant, plus que les prévisions ! C’est plus de 3 % par rapport à 2019, dernière année avant le Covid.
Le réseau nantais est gratuit le week-end depuis 2021, ce qui s’ajoute à des abonnements sociaux attractifs. Nantes Métropole indique que cette gratuité du week-end coûte 20 M€, moitié en pertes de recettes, moitié en charges supplémentaires. La billetterie a rapporté 63 M€, à comparer aux 216 M€ du coût d’exploitation. La couverture R/D est ainsi de 29 %, contre environ 40 % avant gratuité le week-end.
La gratuité a amené un nouveau public le week-end, mais aussi des surcharges sur des tronçons centraux du réseau le samedi, ce qui fait fuir des usagers réguliers.
La gratuité partielle a probablement eu un impact sur les investissements et sur leur calendrier de réalisation. Mais ceuxci restent conséquents : après l’achat de 61 rames de 45 m (280 M€) en cours de livraison, l’achèvement d’un quatrième dépôt de tram qui permet aussi de prolonger une ligne, Nantes Métropole a débuté les travaux d’un programme de 220 M€ qui s’achèvera en 2027, comprenant un pont sur la Loire, 3 km de lignes de tram et un nouveau terminus. Cela permettra de desservir le nouvel hôpital, de mailler un réseau très radial, de l’étendre et de le réorganiser en passant de 3 lignes de tram à 5. Le maillage sera complété par une ligne de busway supplémentaire et le prolongement de 2 lignes de chronobus.
Dominique Roman, Président de la Fnaut Pays-de-la-Loire
Dunkerque : la gratuité réussie grâce à des investissements ambitieux
En 2018, Dunkerque est devenue la plus grande agglomération française à instaurer la gratuité totale des transports en commun. Avant cette mesure, la billetterie rapportait environ 4,5 millions d’euros par an, moins de 10% du coût d’exploitation du réseau.
Aujourd’hui, ce coût de 58 millions d’euros est intégralement financé par le versement mobilité des entreprises et la contribution de la communauté urbaine, sans augmentation des impôts locaux. Un comptage précis, mis en place plusieurs mois avant la gratuité, a permis de suivre de façon fiable l’évolution de la fréquentation, qui a bondi de 65 % en semaine et jusqu’à 125 % le week-end dès la première année.
Mais ce succès ne repose pas uniquement sur la gratuité : il est avant tout le résultat d’investissements ambitieux dans l’offre de transport, avec une refonte complète du réseau en amont. 65 millions d’euros d’investissement ont été réalisés. Cinq lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) ont été déployées, offrant des fréquences renforcées, une amplitude horaire élargie et des priorités aux carrefours. Ce socle structurant est complété par des lignes secondaires bien maillées et une communication dynamique pour redonner envie de prendre le bus.
Derrière cette hausse de fréquentation, observe-t-on un véritable report modal ? Les travaux de l’Observatoire des villes du transport gratuit (OVTG), basé à Dunkerque, montrent qu’il est difficile de quantifier précisément l’effet propre de la gratuité. Toutefois, dans une région historiquement marquée par l’usage de la voiture, la gratuité ouvre de nouvelles opportunités et contribue à un changement progressif des mentalités, en particulier chez les plus jeunes.
Mathieu Giraud, Président de l’Union des Voyageurs du Nord