Historique de la LGV Rhin-Rhône
Lorsque la Fnaut (Pierre Bermond) a proposé une LGV qui pourrait capter à la fois les déplacements radiaux Paris-Dijon-Mulhouse-Bâle-Zurich et les déplacements transversaux Alsace-Lyon-Marseille/Montpellier, cette idée pourtant remarquable d’une LGV en partie transversale a été accueillie avec scepticisme. Puis la Fnaut a défendu la réalisation prioritaire d’une LGV Besançon-Lutterbach sans gare nouvelle TGV à Besançon ; la proposition avait intéressé le président de RFF, Claude Martinand à l’époque, mais elle n’a pas été retenue par l’État.
La construction de la LGV Rhin-Rhône (146 km seulement) a finalement commencé en 2006, et la LGV a été ouverte fin 2011 (Fnaut Infos 83). Deux prolongements étaient envisagés en deuxième phase, mais ont finalement été reportés :
– l’un de 15 km de Genlis à Villers-les-Pots (Côte-d’Or) vers l’ouest, mais présentant peu d’intérêt (un gain de temps du TGV de 2 à 3 minutes, pour un coût évalué à 310 M€) ;
– l’autre de 35 km de Petit-Croix (Territoire de Belfort) à Lutterbach (Haut-Rhin) vers le nord-est (pour un gain de temps très supérieur – environ 7-8 minutes sur l’axe radial et 25 minutes sur l’axe nord-sud par rapport aux missions desservant la gare de Mulhouse – et un coût évalué initialement à 850 M€).
Seul le prolongement vers l’Alsace est envisagé ici. Il est souhaitable que la Fnaut se prononce sur ce dossier avant les élections régionales actuellement prévues en juin et avant l’avis attendu du Comité d’Orientation des Infrastructures. Le plan de l’exposé est le suivant :
– nous décrivons tout d’abord l’exploitation actuelle de la LGV Rhin-Rhône ;
– nous recensons les arguments favorables au prolongement conçu initialement pour les voyageurs, le système ferroviaire, les économies locales et l’environnement ;
– nous décrivons ensuite le projet dans son état actuel et les difficultés qui en résultent ;
– finalement, nous proposons un retour au projet initial accompagné d’une profonde révision de la politique commerciale de la SNCF.
Source : SNCF Réseau
La réalisation de la Branche est de la 2e phase de la LGV Rhin-Rhône entre Petit-Croix et Lutterbach doit être engagée très rapidement.
La congestion des lignes ferroviaires entrant à Mulhouse nécessite d’urgence des mesures d’envergure permettant l’accroissement du nombre des circulations, condition incontournable de la matérialisation du point précédent.
La réalisation du tronçon Petit-Croix – Mulhouse s’inscrit dans une perspective d’avenir à court, moyen et long terme devant l’indispensable basculement des transports routiers sur le rail et la reprise prévisible du trafic à l’issue de la crise sanitaire. Il répond à cinq vocations :
– Une vocation européenne
Il constitue un élément du corridor Nord Europe – Méditerranée du Réseau trans-européen de transports (RTE‑T) entre l’Allemagne et le Sud de la France.
– Une vocation fret indirecte
En écartant les TGV de la ligne Mulhouse – Belfort au profit des circulations TER et fret, il permettra un report modal dont la nécessité saute aux yeux devant le constat de la surcharge en poids-lourds des autoroutes A35 et A36, et de l’A5 sur l’autre rive du Rhin.
– Une vocation d’aménagement du territoire
qui améliore l’accès des territoires de Bourgogne et Franche‑Comté à de grandes métropoles françaises, suisses et allemandes. En parallèle, l’introduction ou les améliorations des dessertes TER de rabattement vers les gares TGV (Épinal – Belfort Montbéliard TGV, nouvelle articulation de la ligne Belfort – Delle vers Delémont et Bienne, Besançon TGV – Morteau – La Chaux-de-Fonds) devraient augmenter la fréquentation d’ensemble de la LGV.
– Une vocation multimodale
qui améliore l’accès l’amélioration de l’accès à des plateformes aéroportuaires internationales parmi lesquelles figure en bonne place l’EuroAirport Basel-Mulhouse-Freiburg.
– Une vocation interrégionale
complétant le tronçon actuel, cette portion de ligne supplémentaire pourrait être desservie par des TER ou intercités à vitesse élevée (200 à 250 km/h) reliant Strasbourg à Lyon en passant par la ligne du Revermont (Besançon-Lons-Bourg).
L’exploitation actuelle de la LGV Rhin-Rhône
La LGV Rhin-Rhône est utilisée actuellement pour une double desserte :
– une desserte radiale Paris-Mulhouse-Bâle (TGV SNCF) et une desserte radiale Paris-Mulhouse-Bâle-Zurich (TGV Lyria) ; les TGV passent par le raccordement de Pasilly-Aisy, desservent Dijon, utilisent, sur le parcours terminal, la ligne classique Belfort-Mulhouse et accèdent directement à la gare centrale de Mulhouse puis continuent éventuellement vers Bâle et Zurich ;
– une desserte transversale, dite « Rhin-Rhône », Strasbourg-Lyon-Marseille ; les TGV roulent à 220 km/h de Strasbourg à Lutterbach et accèdent directement à la gare centrale de Mulhouse où ils rebroussent (quelques TGV desservent Colmar ; certains contournent la ville de Mulhouse par le triage nord ; seul le TGV « bolide » Strasbourg-Lyon AR utilisait le « petit shunt » de Mulhouse et ne desservait pas Mulhouse, il a été supprimé récemment si bien que le petit shunt n’est plus utilisé).
– Les temps de parcours : le TGV bolide relie Strasbourg et Lyon en 3h15, les autres TGV en 4 à 5 h suivant les horaires, les villes desservies et les correspondances assurées.
– Les fréquences ont été considérablement réduites (de 7 à 5) depuis 2015 (donc avant la crise sanitaire) ; les horaires sont à revoir, le voyageur ne peut plus improviser un voyage.
– Les arrêts : certaines villes (Chalon-sur-Saône, Mâcon) ne sont pas systématiquement desservies.
– Les correspondances : elles sont difficiles sur le tronc commun des deux liaisons et très mal organisées en gare de Belfort-TGV, ce qui explique en partie la faible fréquentation de la ligne Belfort-Delle.
Curieusement, la clientèle de la LGV Rhin-Rhône est mal connue (hors crise sanitaire) : la SNCF prévoyait une clientèle de 12,1 M voyageurs fin 2016, soit 20 % du trafic voyageurs tous modes confondus, très supérieure à la clientèle 2013 donnée par la SNCF elle-même (9,5 M dont 3,8 sur l’axe Rhin-Rhône). Finalement, le rapport du CGEDD cite une fréquentation « plausible » (avant la crise sanitaire) de seulement 3 M sur l’axe Rhin-Rhône (haut page 11), à comparer aux 40 M de voyageurs au départ de Paris sur la LGV Sud-Est.
Alors que son potentiel est élevé, la rentabilité très faible de la LGV Rhin-Rhône pour cause de sous-utilisation et de niveau élevé des péages incitent la SNCF à mettre en œuvre une politique malthusienne consistant à supprimer peu à peu des services, ce qui renforce les baisses de trafic et le manque de rentabilité : depuis 2015, l’offre a été fortement réduite, surtout sur l’axe transversal.
Un témoignage qui en dit long sur la fréquence des TGV Rhin-Rhône :
En novembre 2019, venant de la région d’Ambérieu, j’ai été déçu de ne pouvoir prendre un TGV Lyon-Strasbourg, qui était déjà complet 3 semaines à l’avance. La fréquence des TGV est insuffisante sur cette relation, et certains TGV roulent sur des créneaux horaires mal ciblés avec des correspondances difficiles à Lyon ou Marseille. Heureusement, j’ai pu spontanément revenir agréablement à Strasbourg, sans réserver, avec une durée de trajet certes un peu plus longue, par Genève, Bienne et Bâle.
Patrice Paul, ancien président de la Fnaut Alsace
Le projet initial de prolongement de la LGV Rhin-Rhône
La LGV Rhin-Rhône est inachevée, elle reste à valoriser. Elle est trop courte pour que les gains de temps qu’elle apporte soient attractifs (malgré la vitesse des TGV, 320 km/h) : elle est peu utilisée, c’est la moins utilisée des LGV, elle l’est un peu plus sur l’axe radial que sur l’axe nord-sud et serait classée UIC 5 à 6), elle est déficitaire sur ces deux axes selon SNCF Réseau. Le rapport du CGEDD, très contradictoire, écrit avant la décision d’Elisabeth Borne de prolonger la LGV vers Mulhouse, recommande cependant de ne pas engager la réflexion sur le prolongement et d’augmenter d’abord la fréquentation (mais peut-on augmenter cette fréquentation sans prolonger la LGV ?). D’après le rapport, il y a trop d’arrêts intermédiaires, d’où la lenteur des TGV ; le prolongement deviendra nécessaire si la fréquentation progresse. Une réduction des temps de parcours est cruciale : selon le CGEDD, c’est l’objectif n°1.
Les avantages pour le voyageur moyenne et longue distance
Si la LGV était prolongée de Belfort à Lutterbach et comportait en particulier le « raccordement de Strasbourg » suivant le projet initial, le gain de temps pourrait être de 25 minutes sur l’axe nord-sud par rapport aux missions desservant la gare de Mulhouse, selon le CGEDD. Sur l’axe radial Paris-Zurich, le gain de temps serait de 7-8 min. L’utilisation de la LGV Paris-Lyon entre Mâcon et Lyon (70 km) permettrait elle aussi d’accélérer de quelques minutes les TGV Strasbourg-Lyon, elle faciliterait la desserte systématique de Chalon-sur-Saône et de Mâcon (la capacité nécessaire pour la totalité de l’offre transversale actuelle est disponible sachant que 8 A/R Lyria sortent de la LGV Paris-Lyon par le raccordement de Pont de Veyle : actuellement, seul le TGV Marseille-Luxembourg utilise cette possibilité). A noter le gain de temps, qui pourrait atteindre 30 minutes au total, concerne toutes les Régions desservies par les TGV nord-sud : AuRA, PACA, Occitanie. Les relations internationales (sur l’axe radial et sur le corridor européen Allemagne /Suisse-Méditerranée) seraient également facilitées depuis Francfort, Stuttgart, Zurich et Bâle, alors que leur fréquentation stagne depuis l’ouverture de la LGV.
Cette accélération de tous les TGV sur la LGV Rhin-Rhône et une offre mieux conçue permettraient :
– d’augmenter leur fréquence (avec en gros un cadencement, un TGV toutes les deux heures sur les deux axes radial et transversal afin de parvenir à un offre lisible ; les horaires sont aujourd’hui difficilement compréhensibles et non mémorisables) ;
– de mieux coordonner les horaires sur les deux axes radial et transversal et de faciliter les correspondances entre les deux axes ;
– de répondre à la demande de recréer un deuxième TGV aller-retour « bolide » Strasbourg-Lyon en moins de 3 h, les autres relations TGV gardant leur caractère systématique de caboteurs ;
– de desservir un plus grand nombre d’arrêts par les TGV caboteurs ;
– de renforcer la clientèle, surtout sur l’axe transversal Rhin-Rhône. La hausse attendue de la clientèle sur cet axe serait d’environ 16 % (509 000 voyageurs supplémentaires selon SNCF Réseau) : la clientèle des TGV « intersecteurs » (hors bolides) est essentiellement une clientèle familiale qui apprécie les possibilités de cabotage et de desserte systématique des villes moyennes et donc des gares existantes – Mulhouse, Belfort TGV, Besançon TGV, Dijon, Chalon, Mâcon (Fnaut Infos 242). Les TGV nord-sud « normaux » doivent desservir Mulhouse pour assurer des correspondances vers Bâle et Zurich. Tous les TGV transversaux doivent être prolongés à Francfort.
Les avantages pour le système ferroviaire
1 – Le prolongement de la LGV jusqu’à Lutterbach et une offre mieux conçue permettraient de mieux rentabiliser la LGV Rhin-Rhône. Plus généralement, l’apport d’une clientèle nouvelle faciliterait un renforcement des fréquences et du nombre des arrêts. Le prolongement renforcerait ainsi la seule LGV en partie transversale existant à ce jour, les TGV intersecteurs s’étant surtout développés entre Lille, Strasbourg ou Lyon et les façades atlantique et méditerranéenne, et utilisant principalement des LGV radiales. Le prolongement de la LGV peut donc être très utile à la SNCF s’il s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle stratégie menant à un renforcement de l’offre, en particulier les relations internationales.
2 – Le gain de 509 000 voyageurs TGV supplémentaires effectuant en moyenne un parcours d’environ 525 km à raison de 10 centimes/km en moyenne nationale (d’après une expertise de Jean-Marie Beauvais) et utilisant actuellement l’avion, ou la voiture sur les distances plus courtes (Strasbourg/Dijon), pourrait rapporter 25 M€ par an à la SNCF.
3 – La ligne Mulhouse/Belfort est fermée entre 23h et 5h. Les circulations de jour étant très diverses (20 AR TER avec 5 arrêts, 3 AR Paris-Mulhouse, des TGV sans arrêt circulant à 160 km/h et une dizaine de trains de fret circulant à 90 km/h), l’inscription de sillons supplémentaires est difficile. La SNCF refuse de prolonger les TER Lyon-Belfort jusqu’à Mulhouse. En raison de la crise sanitaire, la situation est moins criante aujourd’hui mais redeviendra vite problématique.
4 – Le prolongement de la LGV est complémentaire du projet de VFCEA comportant l’électrification de la ligne Chagny-Le Creusot TGV-Nevers et, par suite, la création d’un axe fret est-ouest entièrement électrifié : la VFCEA ne semble viable que si la ligne Belfort-Mulhouse est déchargée du trafic TGV.
Les avantages pour les économies locales
Le prolongement serait utile à l’Alsace mais aussi à la Région BFC avec la création possible de TERGV entre Mulhouse et Dijon. Le prolongement de la LGV Rhin-Rhône, dont le chantier, créateur d’emplois, pourrait démarrer très rapidement et aurait dû être intégré dans le plan de relance.
Les avantages environnementaux
Le gain de 509 000 voyageurs TGV supplémentaires limiterait les nuisances subies par les riverains le long des grands axes routiers et les émissions de gaz à effet de serre, bien plus dangereuses que les atteintes à la biodiversité locale. En 2020, selon l’annuaire statistique de la DGAC, 110 000 passagers ont utilisé l‘avion entre Strasbourg et Lyon, 106 000 entre Strasbourg et Marseille, 25 000 entre Strasbourg et Montpellier. SNCF Réseau n’ayant pas précisé si le gain attendu de clientèle correspond à du trafic induit par l’amélioration de l’offre ou capté à l’avion et à la voiture (l’A 39 Bourg-Dole a été ouverte en 1998), il n’est pas possible de calculer l’économie de CO2. Le report sur le rail du trafic routier Ouest-Est de fret, permis par la VFCEA, aurait un effet analogue à celui du report du trafic voyageurs.
Le projet réduit actuel de prolongement de la LGV Rhin-Rhône
Sans être négligeable, le coût du projet initial reste raisonnable. Seuls ces « petits » projets, coûtant moins d’un milliard d’euros, ont des chances d’être adoptés dans le contexte financier actuel. Ils risquent donc peu de concurrencer les projets plus importants, dont le coût est de plusieurs milliards et exige un financement spécifique. 82 M€ ont déjà été dépensés en études et acquisitions foncières et 250 M€ pourraient être apportés par l’État selon Les Échos. A titre de comparaison, la VFCEA coûtera 500 M€ (la moitié environ si seul le projet fret est considéré), et le barreau Roissy-Picardie 360 M€. La commande de trains à hydrogène par la Région Grand Est coûtera 86 M€.
Le projet initial a cependant fait l’objet d’une recherche systématique d’économies : le coût du projet été ramené à 688 M€ par SNCF Réseau, soit environ 20 M€ par km. Les économies ont porté sur :
– la suppression du « raccordement de Strasbourg » entre la LGV et la ligne de la plaine d’Alsace, au nord de Lutterbach ; cette suppression ramènerait de 25 à 12 minutes environ le gain de temps sur l’axe transversal et entraînerait une perte sensible de la clientèle des TGV bolides, qui devraient donc faire le détour par Mulhouse sans s’y arrêter ou continuer à utiliser la ligne classique Belfort-Mulhouse ;
– la suppression du coûteux saut de mouton qui permet l’inversion des voies, les trains roulant à gauche en dehors de l’Alsace-Lorraine et à droite en Alsace-Lorraine ; cette suppression imposerait que le changement de sens de circulation se fasse en gare de Belfort-TGV, ce qui peut entraîner un arrêt dans cette gare et des difficultés de gestion des circulations.
Le projet initial, comme la version « économique » proposée aujourd’hui, présentent tous les deux un inconvénient majeur : les TGV caboteurs Belfort-Mulhouse-Strasbourg entrent aujourd’hui en gare de Mulhouse depuis le sud sans utiliser le tronçon Mulhouse-Lutterbach, mais au départ de Mulhouse vers Strasbourg, ils l’utilisent nécessairement. Avec le prolongement, ils devraient emprunter deux fois ce tronçon (Belfort-Mulhouse puis Mulhouse-Strasbourg), déjà très chargé par des circulations TGV, TER et fret sur deux voies, la troisième voie étant dédiée au tram train Mulhouse-Thann.
La proposition de la Fnaut
La Fnaut a envisagé un prolongement de la LGV non jusqu’à Lutterbach mais jusqu’à l’entrée dans Mulhouse, au sud de la gare centrale (à Brunstatt). Cette suggestion présente de nombreux atouts :
– l’inversion des voies se fait déjà à l’entrée de Mulhouse sur la ligne classique venant de Belfort, le saut de mouton de Belfort deviendrait inutile ;
– une gare TGV à Lutterbach ne serait même pas à envisager pour permettre aux TGV caboteurs de desservir Mulhouse par correspondance avec un TER ou un tram-train, une correspondance dissuasive pour les voyageurs, elle pourrait être définitivement abandonnée ;
– le gain de temps de 7-8 minutes serait conservé pour les TGV radiaux ;
– le petit shunt pourrait être à nouveau utilisé par les TGV bolides nord-sud, ces bolides ne seraient plus obligés de s’arrêter à Belfort.
Mais cette proposition se heurte à des difficultés d’insertion sur le terrain qui semblent difficilement surmontables et d’un coût élevé : une étude plus précise serait nécessaire, elle serait même à reprendre complètement concernant les emprises de la LGV, entraînant des délais de réalisation dissuasifs.
La Fnaut propose donc de revenir au projet initial complet, sans rechercher des économies qui annihileraient les gains de temps des TGV bolides sur l’axe nord-sud et laisseraient subsister l’encombrement de la section Lutterbach-Mulhouse. Le prolongement de la LGV devrait être accompagné d’une profonde révision de la politique commerciale de la SNCF, des gains importants de clientèle pouvant être obtenus par une relance de l’offre (cadencement, correspondances, rebroussement plus rapide en gare de Mulhouse, publication de fiches horaires).
Le projet est de portée européenne. Une desserte TGV de qualité contribue au report modal de l’avion vers le train. Une contribution de l’Union européenne est donc logique et nécessaire. Parallèlement, la région Grand Est doit inscrire dans son programme d’améliorations de ses lignes régionales les investissements nécessaires pour désaturer les lignes TER desservant Mulhouse.
L’engorgement actuel des accès à Mulhouse tant par l’est et le sud que par le nord ne permet plus l’insertion de circulations supplémentaires sans d’indispensables travaux nécessitant une réflexion d’ensemble sur le plan de voies de l’agglomération de Mulhouse. Le temps des rustines sans vision d’ensemble a atteint ses limites.
La section Mulhouse/Lutterbach est saturée car elle concentre un trafic de 3 lignes TER. L’aménagement d’une troisième voie dédiée aux tramways et tram-trains a contribué à en réduire la capacité. Cette situation empêche l’insertion supplémentaire de circulations TGV appelées à augmenter considérablement.
Et malgré la fermeture de 6 arrêts la saturation de la ligne Belfort/Mulhouse ne permet plus l’insertion de TER ou de trains de fret supplémentaires, une situation que soulagerait le report des TGV sur ligne nouvelle entre Petit-Croix et Mulhouse par Lutterbach.
Afin de sortir de ce blocage, une réflexion d’ensemble concernant le nœud ferroviaire de Mulhouse s’impose d’urgence. Incluant l’impératif de la réalisation très rapide de Branche est de la 2e phase de la LGV Rhin-Rhône entre Petit-Croix et Lutterbach, elle doit déboucher immédiatement sur les travaux nécessaires à l’accroissement global de l’offre en transports publics de l’agglomération de Mulhouse au sens large. Les travaux en cours en gare de Mulhouse sont sans rapport avec la dimension du problème.
La desserte TGV de la Région Grand Est
Une occasion à saisir
Le prolongement de la LGV Rhin-Rhône est réclamé par les élus des Régions Bourgogne – Franche-Comté et Grand-Est, et par le Sénat. En mai 2019, Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, a acté la construction du prolongement Est d’ici 2028 (au lieu de 2038 comme le proposait la Commission d’Orientation des Infrastructures présidée par Philippe Duron). Cette opération est sans aucun doute une extension du réseau des LGV moins urgente que la construction, par exemple, d’une ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (Fnaut Infos 278), mais ce serait un complément très utile du réseau des LGV : la LGV Rhin-Rhône actuelle est inachevée, ce qui détruit son intérêt national et international, et entraîne la dégradation constante des fréquences. Il semble donc judicieux de profiter de cette ouverture, sachant que les crédits qui ne vont pas aux projets ferroviaires vont en général à la route.
La desserte TGV de la Lorraine
La Fnaut critique à juste titre la disparition des relations TGV Luxembourg-Metz-Nancy-Dijon-Lyon-Méditerranée utilisant la ligne classique passant par Neufchâteau, Culmont-Chalindrey et Dijon. Ces relations ont été remplacées par des dessertes de Metz et de Nancy, plus ou moins bien adaptées, faisant le détour par Strasbourg en utilisant la LGV Est. Le passage par l’Ile-de-France (Marne-la-Vallée) n’est pas plus favorable. Ces détours n’apportent pas de gain de temps, augmentent le prix pour les voyageurs et les péages pour SNCF Voyages. Ils sont contraires au principe même de la conception du TGV, conçu pour irriguer les territoires en exploitant son interopérabilité qui est à la base de son succès.
Le dogme consistant à vouloir réduire les circulations TGV hors LGV est inacceptable, il peut même relever du contresens. Pour réaliser une offre low-cost sur Paris-Bruxelles, Thalys détourne au contraire des TGV par la ligne historique pour économiser des péages sur ligne à grande vitesse ! La Fnaut a toujours dénoncé la politique malthusienne de SNCF Mobilités et sa volonté de ne faire circuler le TGV que sur les LGV (Fnaut Infos 237). SNCF Mobilités doit abandonner cette stratégie malthusienne et exploiter au maximum les possibilités offertes par le prolongement de la LGV Rhin-Rhône, en particulier un renforcement des fréquences susceptible d’attirer une clientèle nouvelle.
Ceci étant, ce n’est pas parce que la desserte TGV de la Lorraine a périclité qu’il ne faut pas améliorer celle de l’Alsace. Les deux problèmes sont différents. Si la LGV est prolongée, le déséquilibre entre les deux zones sera accentué et une correction sera plus facile à défendre.
Le financement des petites lignes
On peut aussi se demander si le coût élevé du prolongement de la LGV ne va pas empêcher de donner la priorité, dans les investissements ferroviaires, à la rénovation des petites lignes utilisées par les habitants des zones périurbaines et rurales lors de leurs déplacements quotidiens. Cette approche, légitime, est analogue à celle du Conseil Régional Grand Est concernant la gare de Vandières. Mais ce n’est pas parce qu’on prolongera la LGV qu’on rouvrira ou non diverses « petites » lignes sans avoir d’abord sauvegardé celles qui doivent encore l’être. Les financements publics ne sont pas connus actuellement mais s’ils sont suffisamment élevés (et donc réclamés énergiquement), ils devraient permettre à la Région Grand Est de continuer à investir dans la rénovation des lignes régionales. Si la LGV n’est pas prolongée, le risque est qu’on construise de nouvelles routes…
Et si la Fnaut affirmait que le prolongement de la LGV est trop coûteux, elle reprendrait les affirmations des adversaires des LGV et prendrait le risque d’affaiblir son argumentation en faveur de projets plus importants (ligne d’accès de Lyon au tunnel du Lyon-Turin, LNMP). Le rôle de la Fnaut est de réclamer tous les investissements nécessaires aux usagers, régionaux, grandes lignes et fret : c’est ce qu’elle a déjà dans le cas de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (Fnaut Infos 288).
Compléments
Le gouvernement semble vouloir relancer les grands projets ferroviaires après une séquence de recentrage sur les transports de la vie quotidienne : des enquêtes ou consultations publiques sont actuellement en cours sur les projets Roissy-Picardie, Marseille-Nice et LNMP.
1 – Les déplacements à longue distance et le TGV
La Fnaut se préoccupe des déplacements de proximité mais aussi de l’augmentation des déplacements à longue distance dans la vie quotidienne. Les déplacements à courte distance (moins de 80 km) sont évidemment les plus nombreux. Cependant les déplacements à longue distance prennent une place croissante dans la vie quotidienne : de nombreux phénomènes sociétaux renforcent leur fréquence.
Les études supérieures des enfants sont souvent effectuées loin du domicile familial ; les enfants s’établissent ensuite loin du domicile des parents ; la multiplication des divorces avec garde alternée des enfants implique des déplacements fréquents entre les domiciles des parents séparés ; en raison de l’éclatement du marché du travail, de nombreux couples vivent séparés en semaine, les conjoints ne travaillant pas dans la même ville ; les déplacements touristiques de week-end (avant la crise sanitaire) se sont multipliés ; la population française vieillit et les automobilistes âgés hésitent à conduire sur de longues distances pour se rendre sur leur lieu de vacances. En définitive, le TGV devient peu à peu un train de la vie quotidienne.
En nombre de voyageurs, les déplacements de proximité sont, en gros, 10 fois plus nombreux que les déplacements à longue distance, mais en termes de voyageurs.km (ce qui compte pour le climat), les déplacements à longue distance représentent près de 40 % des voyageurs.km.
2 – Les atouts du TGV : faut-il parler de tout-TGV ?
Les LGV ont reçu 38% des investissements ferroviaires entre 1990 et 2015 (30 Md€ sur 78 selon la Commission des Comptes Transport de la Nation) donc il faut nuancer l’expression « tout-TGV ».
3 000 km de LGV ont permis d’irriguer l’ensemble du territoire grâce à l’interopérabilité du TGV (contre 12 000 km d’autoroutes). Le réseau classique a bénéficié du TGV (de nombreuses lignes radiales ont été électrifiées), 20 % des usagers du TGV utilisent aussi un TER.
Le TGV joue donc un rôle important dans l’aménagement du territoire, c’est en particulier le cas de la LGV Rhin-Rhône puisqu’elle concerne un axe transversal.
Le TGV est le meilleur concurrent de l’avion (voir l’expertise Mathieu-Pavaux de 2003 et le contre-exemple allemand : en Allemagne, on a construit peu de LGV et l’avion a conservé un rôle prépondérant).
3 – Le financement des LGV
Les financements des LGV et du réseau classique ne sont pas directement concurrents, ils sont en partie dissociés : ceux qui sont destinés au TER sont décidés dans le cadre des Contrats de Plan État-Région et sont alors en concurrence avec les investissements routiers, alors que les grands projets ferroviaires suscitent toujours des financements spécifiques et variés (État français, Régions, Union européenne, Suisse, Allemagne). Un PPP a été adopté pour la LGV Tours-Bordeaux, une société de financement est prévue pour Bordeaux-Toulouse, un financement européen a été obtenu pour le Lyon-Turin (la liaison Lyon-Turin vient d’obtenir 2,5 Md€ de Bruxelles, la part de financement de l’UE passant de 40 % à 55 %).