Dès son arrivée, le Premier ministre a déploré que le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) soit reporté à une échéance lointaine. Ce projet n’est pas abandonné : le plan de relance l’a ignoré, mais une consultation publique a été ouverte le 2 novembre 2020.
Le projet LNMP
Le projet consiste à construire 150 km de ligne nouvelle entre Montpellier et Perpignan et 30 km de raccordements aux lignes classiques. Il s’agit de répondre à une demande croissante de mobilité régionale, nationale et internationale (fret et voyageurs) et à la congestion de la ligne littorale d’Occitanie, de permettre le report sur le rail du trafic de fret en provenance d’Espagne et d’assurer la continuité de la grande vitesse Espagne-Italie (le projet LNMP est situé sur le corridor européen Méditerranée du Réseau Trans-européen de Transport (RTE-T), comme la liaison Lyon-Turin, il prolonge la LGV Barcelone-Perpignan).
Les gains de temps seraient de 24 min sur le trajet Montpellier-Narbonne et 39 min sur le trajet TGV Montpellier-Perpignan. La SNCF prévoit 1 million de voyageurs TGV nouveaux par an.
Deux phases ont été définies par SNCF Réseau, porteur du projet.
La phase 1 : Montpellier-Béziers
La phase 1, seul objet de la consultation, concerne l’itinéraire de 52 km Montpellier-Béziers (et 7 km de raccordements). Elle est manifestement bien conçue.
– Le tracé évite les zones aquatiques et maritimes traversées par la ligne classique avec des risques de submersion et d’érosion.
– La ligne classique sera déchargée des TGV et des trains de fret qui seraient reportés sur la ligne nouvelle entre Montpellier et Béziers. Les déplacements quotidiens gagneront en régularité et en vitesse.
– Les gains de capacité offriront une alternative crédible à la voiture pour les déplacements quotidiens, avec un service régional à haute-fréquence (RER métropolitain) pouvant atteindre un cadencement au quart d’heure sur la section Montpellier-Lunel, la plus circulée aujourd’hui.
– Le TGV sera accéléré de 18 min entre Perpignan ou Toulouse et Montpellier.
– Il n’y aura pas de gare nouvelle sur la ligne.
– La ligne sera mixte: les convois de fret n’emprunteront plus la ligne littorale encombrée.
Tout en approuvant le projet (Fnaut Infos 277), la Fnaut s’étonne que la mise en service ne soit prévue qu’« à l’horizon 2034 » et que 7 longues années d’études préparatoires soient nécessaires entre la déclaration d’utilité publique prévue en 2023 et le début des travaux prévu « à l’horizon 2030 », alors que de nombreuses études ont déjà été menées par SNCF Réseau. Les études relatives aux 4 LGV décidées lors du Grenelle de l’environnement ont été bien plus rapides (la phase 2 serait, elle, mise en service au plus tard en 2044).
La phase 2 : Béziers-Perpignan
Cette phase, urgente elle aussi, comprend 98 km de ligne à grande vitesse et 30 km de raccordements aux lignes classiques. La ligne sera dédiée au TGV sur l’essentiel du tracé, mixte uniquement sur sa section sud, dans la plaine du Roussillon, entre Rivesaltes et Toulouges.
Alors que la phase est bien conçue, la Fnaut souhaite que la phase 2 soit réexaminée sur deux points fondamentaux : la non-mixité de la ligne, et la présence de deux gares nouvelles à Béziers et Narbonne (Fnaut Infos 241, 251, 273, 277, 282).
La non-mixité : une grave erreur
– La ligne littorale est fragilisée par les conséquences du réchauffement climatique, elle est soumise à des risques sérieux dus à l’élévation du niveau de la mer. Le trafic de fret doit pouvoir se reporter sur la ligne nouvelle car les chargeurs ont besoin de fiabilité.
– La ligne littorale est par ailleurs essentiellement utilisée par des trains de fret, deux fois plus nombreux que les TGV. Il y a déjà au moins 1 TER par heure entre Narbonne et Perpignan. La ligne nouvelle doit pouvoir être empruntée par les trains de fret, car la ligne littorale est déjà encombrée.
– La vitesse commerciale des trains de fret serait nettement plus élevée sur la ligne nouvelle, ce qui serait plus attractif pour les chargeurs.
– En cas de non-mixité, la ligne nouvelle, malgré son coût élevé, ne serait utilisée que par une trentaine de TGV quotidiens.
– Enfin un des objectifs de la création de la ligne nouvelle doit être le report massif sur le rail d’une partie de l’énorme trafic de camions en provenance de l’Espagne observé sur l’autoroute A9, en particulier sur l’autoroute ferroviaire Le Boulou – Calais/Luxembourg. Or la capacité de la ligne littorale ne le permet pas.
– Il est significatif que SNCF Réseau ne prévoie qu’une augmentation très modeste de 10 à 15 % du volume du fret ferroviaire après la mise en service de la ligne nouvelle. Est-ce un aveu de son désintéressement pour le fret ?
– Le « temps perdu » par les TGV en raison de la mixité serait faible, de l’ordre de 10 minutes, négligeable par rapport à la durée d’un trajet Paris-Perpignan-Barcelone (de l’ordre de 6h, elle restera, quoiqu’il arrive, très supérieure à celle d’un trajet aérien). Les TGV pourraient circuler à 250 km/h (au lieu de 320 sur une LGV et 160 sur la ligne classique) sur la ligne nouvelle, ce qui réduirait la perte de temps. Je n’ai pas réussi à trouver la vitesse du TGV sur la phase 1, mixte.
– On comprend mal pourquoi la phase 1 de LNMP est utilisable par les trains de fret, comme le contournement de Nîmes-Montpellier et comme la LGV Barcelone-Perpignan, alors que la phase 2 ne l’est pas. La logique voudrait que la mixité soit possible sur un itinéraire continu de Barcelone à Nîmes puis de Lyon à Turin, de telle sorte qu’une exploitation souple du dispositif soit possible en jouant sur un doublet de lignes, classique et nouvelle.
Les gares nouvelles
Deux gares nouvelles, réclamées par des élus locaux, sont prévues à Béziers-Ouest et Narbonne. Ces projets sont incompréhensibles.
– Les gares centrales de Béziers et Narbonne sont et seront très bien desservies ; il n’y a d’ailleurs aucune gare nouvelle sur l’ensemble de la LGV Tours-Bordeaux (avec un passage au large de Poitiers et Angoulême sans gare, des bretelles de raccordement permettant de desservir la gare centrale).
– Ces gares ne seraient pas desservies par les transports publics locaux, ce qui bafoue le principe d’intermodalité. Elles ont souvent été dénoncées par la Fnaut.
– Elles ne reposent que sur des simulations de parc à thème (Béziers) ou de contacts soi-disant facilités avec le réseau routier (Narbonne) ; les médiocres résultats de la gare du Futuroscope, proche de Poitiers, entièrement dédiée à un parc de loisirs, constituent un contre-exemple.
– Quatre gares pourraient être desservies par le TGV alors qu’elles sont très proches : deux à Béziers et deux à Narbonne. Quelle serait alors la vitesse commerciale du TGV ?
– Ces gares détruiraient massivement des espaces agricoles et viticoles de qualité… au moment où le gouvernement veut lutter contre l’artificialisation des terres.
– Enfin ces gares auraient un coût important : coût de construction (y compris les travaux de voirie : raccordements routiers, construction de parkings) et coûts annuels d’exploitation.
La présidente du Conseil régional d’Occitanie et les maires de Béziers et Sète ont exprimé leur opposition à ces projets de gares nouvelles.
Les coûts et le financement
La phase 1 a été chiffrée à 1,855 Md€ HT par l’État, aux conditions économiques de 2014, l’ensemble des deux phases à 5,52 Md€. Des financements sont attendus de l’Union européenne, de l’État (AFITF), des collectivités territoriales (Région, départements, agglomérations) et éventuellement de SNCF Réseau et des acteurs privés. Le gain socio-économique (pour la collectivité) serait de 16 Md€ pour le projet global.
Si la Fnaut propose une révision de la phase 2, basée sur une mixité de bout en bout, elle n’ignore pas qu’une ligne mixte serait plus coûteuse qu’une LGV (elle nécessiterait un tunnel d’une dizaine de km sous les Corbières, des courbes de rayon plus élevé, des rampes plus faibles). Mais l’abandon des deux gares nouvelles dégagerait de sérieuses économies. Au total, le surcoût de la mixité de la ligne nouvelle pourrait être de l’ordre du milliard d’euros : ce surcoût est important mais il permettrait un report efficace du trafic de camions sur le rail, ce qui est l’enjeu essentiel du projet LNMP.